3.2. «Jame» et «d’autor» : l’apocope comme vecteur de rythme

L’apocope peut également être utilisé dans un souci très célinien de rythme de phrase et de musicalité. C’est ce qui pourrait expliquer l’omniprésence (dans les pièces du début) du mot « jame » (pour « jamais ») qui revient aussi souvent et (nous semble-t-il) pour les mêmes raisons que l’argotique « d’autor » (pour « d’autorité ») chez Céline. Dans ce cas de figure et de ce point de vue (rythmique, musical), l’apocope est à rapprocher de l’apostrophe et Novarina, sans se poser vraiment la question, nous montre même, par l’utilisation similaire – au niveau du but visé (et atteint) – qu’il fait des deux procédés, que si ces deux mots se ressemblent, ce n’est pas par hasard : nous faisons allusion au préfixe apo, impliquant, à l’instar de la suppression-adjonction, une sorte de perte et un nouvel état.

Aussi bien, le suffixe at, par exemple, utilisé apocopiquement en ce qu’il permet de raccourcir des mots en ion et en ent permet aussi, dans un même mouvement (et à son niveau), de raccourcir les phrases et de rendre le style plus rapide et plus enlevé ; c’est grâce à ce genre d’initiative que la prose novarinienne a souvent l’air quasiment chantée : or, on obtient en fonctionnant ainsi, exactement les mêmes effets (surprise, comique, audace des enjambements, etc.) qu’en utilisant l’apostrophe dans certaines chansons, ce qu’un auteur comme Brassens avait parfaitement compris.