3.3. Le « trou au derriet » 

3.3.1. L’homme remis à sa place

Il arrive, mais c’est rare, que l’apocope soit utilisée pour exprimer une idée précise : dans L’Atelier Volant, si le nom « Boucot » est réduit à « Bouc », cela renseigne, et de peu flatteuse façon étant donné la réputation de cette bête et ses accointances avec le diable, sur sa position dominante au sein de l’usine. De manière beaucoup moins sûre, cela permet peut-être aussi (cf. « Monsieur Bouc ») à Novarina de faire un clin d’œil littéraire à Ionesco qui, dans Rhinocéros, donne à certains personnages des noms d’animaux ou pouvant renvoyer à l’animalité (cf. Monsieur Papillon, Madame Bœuf et Dudard).

Dans Le Drame de la vie, le « trou au derriet », qui pourrait d’ailleurs tout aussi bien désigner l’anus, signifie peut-être en fait l’absence de queue, la lacune caudale de l’homme, ce dernier n’ayant gardé de cet appendice, vestige un peu ridicule, qu’un coccyx invisible de l’extérieur. Or ce serait par cette absence même, par ce « trou au derriet », que l’homme « sacre sa domination sur le monde animal » (p. 140). Et c’est ainsi que Novarina pourrait peut-être affirmer : le trou au derriet est le propre de l’homme ; il y a cependant des résistants au progrés comme « L’Homme de Queue » (D.V., p. 225) mais peut-être aussi « Jean des museaux » et « Jean Terrier » (Jean Derriet ne faisant pas partie de l’onomastique novarinienne).

Dans un même ordre d’idée, cette « dent du bas qui m’pousse au cul » (L.M., p. 342) ne serait-elle pas encore une périphrase pour désigner le coccyx ? En tout cas, il semble qu’Adam s’adresse avec angoisse à son « derriet » (dans une scène évoquant irrésistiblement les cosmogonies comiques de Brisset), « rainé » rappelant rainette :

‘Hé, ma peau du cul, t’entends, te décolle pas ! […] Au secours, les poissons !… Il fait si sombre Madame, c’est si partout décoloré, ça fait si nuit dans c’foutoir, qu’une bête aveugle y trouverait même pas le rainé de sa voisine. (p. 342).’

Toujours dans La Lutte des morts, à la page 344, on aura une autre distinction, opérée celle-ci entre bêtes et « êtrumains » et s’exprimant humoristiquement ; ce sera : « Les intelligionsses sont des matuères que seul l’homme et pas l’animal a ». D’une manière plus générale, et comme on l’a vu avec le traitement du mot pantalon, l’auteur du Discours aux animaux possède l’art de nous remettre comiquement – quoique plus finement que Jules Renard (cf. « ce qui distingue l’homme de la bête : ce sont les ennuis d’argent ») – à notre place par rapport aux animaux ; dans L’Atelier volant par exemple, on aura « Le temps nous éloigne très vite du singe » (p. 117) et « seul l’homme s’orne le sommet » à la page 107 (le couvre-chef en question semblant devenir un vulgaire couvercle dans la même page).