3.4. Prise en compte de la phonétique et de l’étymologie

3.4.1. « Mot sous la po » et « mal au da »

Après ces menues digressions et pour en revenir à l’apocope proprement dite, celle qui est contenue (in J.S.) dans « Jean Dubuffe »(mais que Dubuffet utilisait aussi pour lui-même, en enlevant un f) est sans doute un moyen humoristique d’évoquer le fameux théoricien de l’art brut et renvoie surtout à l’amitié faite de respect et d’admiration réciproque qui, comme en témoigne leur correspondance, liait les deux hommes.

L’apocope pourra éventuellement aider au comique. Ainsi, c’est en tronquant Pétrone pour en faire « Pétron » qu’on obtiendra dans Le Babil des classes dangereuses (p. 163) une iconoclaste épitaphe épigrammatique, « Pétron » nous étant donc présenté comme « [de] tous les poètes, le plus bête et le plus con / Car jamais il ne trouva la rime qu’il fallait mettre à corbillon / Car elle était son propre nom » : Pétron(/Pétrone) n’ayant pas non plus pensé à Satyricon, on peut penser que décidément il méritait un peu cette farce posthume.

Notons encore que dans l’apocope novarinienne, la phonétique est souvent prise en considération comme dans ces deux phrases tirée du Drame de la vie : « Cet homme a mal aux da » (p. 193) et «j’ai les accordéons dans les jà » (p. 226). Autres exemples puisés dans Le Drame de la vie : « paupi » pour paupières (p. 53) « poume » (p. 44) pour poumon, « Sarbaque » (p. 215) pour Sarbacane ou « glisse un mot sous la pot » (p. 267). Dans « en bandouillet » (p. 258), on est sans doute parti de bandoulière mais on entend aussi douillet et pendouiller voire bandouiller. Mais l’apocope était déjà présente dans les pièces du début :

  • B.C.D. : « la té » (p. 186), « s’il te pl’ » (p. 209), « orize » (p. 301), « La distrib’! La distrib’ ! » (p. 162), « au bout de vingt ans d’aspire » (p. 210), « zéro point » (p. 169), « ce coste orange » (p. 206).
  • A. V.  : « panier de tignes » (p. 114) pour « panier de tignasses » – mais « tignes » ressemble aussi à teignes, à signes, à cygnes ou à tigres  (Tignes est aussi une ville).
  • L.M. : « décapits » (p. 390), « la bistoure » (p. 395), « [vider] les poubes » (p. 514), mais aussi « bambe » (p. 362) pour bambin, et « dèpe » (p. 387) pour départ.

N’oublions pas Le Monologue d’Adramelech (nouvelle éd. p. 11 et p. 46 : « modif de céans » et « Napo »), Le Repas avec la mystérieuse « Oiture à moiteu, noirceu, vapeu » (p. 39) et Le Drame dans la langue française (in T.P.)qui contient aussi des cas significatifs tels que « panorame » (p. 60) et « pholie maxe » (p. 49). La prise en compte de l’étymologie est encore plus sensible dans « s’agite le recte » (L.M., p. 441), « Son petit phalle inoffensif » (p. 494) et « Nous, les filles, on a du lacte » (L.M., p. 370), où l’on part de la racine latine (même si la « Seule à cédille » a conservé « phallus » et « rectum » tels quels), idem pour la double apocope en « In nomin patr » (L.M., p. 459) ; enfin, pour la graphie en « phalle », notons qu’elle se retrouve chez Apollinaire dans les Les Cent mille verges.