3.5. Procédés comparables

3.5.1. L’anantapodoton : un cas très rare de troncation

On l’a vu pour le mot-valise et le mot-accordéon, il y a aussi des variantes à la figure ; ainsi on pourra décréter que, même si le vocable n’est pas idoine, l’apocope concerne également des expressions. Signalons par exemple « J’ai repris du poil » (A.V., p. 106) – qui rase "la bête" en quelque sorte (mais qu’on retrouve chez Léo Malet). Ainsi donc, l’apocope pourrait également concerner des phrases et des tournures : « Au Sol et au Seul qui ! » (D.A., p. 163), « Je hurle que ma viande. » (D.V., p. 89) ou « Je ne suis qu’un enfant dans le trou duquel. » (D.V., p. 64). Autre cas : « et il se tut, à. » (D.A., p. 197) qui est aussi un jeu de mots. Il y a même, à la page 164 du Discours aux animaux une inscription funéraire incomplète « Né en » qui pourrait correspondre à la date de naissance de la « Môme Néant ».

Quant au « Je suis » (titre et nom, « néon », ready-made et formule récurrente), on le retrouve bien sûr dans la Bible (Ex. 3, 14) mais on pourrait presque estimer qu’il tronque, dans la Bible même et chez Novarina, « Je suis ce que je suis(/serai) » – en cela c’est peut-être un anantapodoton (d’autres suites seraient cependant imaginables : je suis les instructions, je suis le mode d’emploi, je suis la marche à suivre) à moins que la troncation concerne plutôt le cogito, auquel cas le « Je pense donc » se serait donc perdu en route, ce qui est très novarinien.

De façon plus sûre, remarquons ceci : dans « Les Teûgles […] se sont vengés sur les Pastrodons en les passant par le fil » (J.R., p. 71), la phrase devrait, pour être tout à fait correcte, se terminer par : le fil de l’épée – il s’agit donc, là encore, d’un anantapodoton, même si la phrase reste à peu près compréhensible. Il se peut que ce soit là un nouveau jeu proposé par Valère Novarina (tout comme Tardieu avec ses textes mangés de rouille) : à soi donc de remplir les blancs laissés ou d’imaginer godardiennement ce qui se passe hors-champ.