3.5.4. Coupure au début

Il semblerait que la troncation, le décollage puisse également concerner le début des mots comme « Goulème » pour Angoulême ; c’est là un procédé quasi-magique voire magicomique : il suffit juste d’enlever un petit bout au vocable et on obtient carrément une ville nouvelle – cela pourra même concerner un continent tout entier avec la création de « l’Urope » (L.M., p. 495).

Sur ce principe, remarquons qu’un épiderme devient « l’piderme » (L.M., p. 468) et qu’on pourra se retrouver « crasé » (D.A., p. 253) par un éventuel "auffard" ou bien assister au « cortège des uppliciés » (L.M., p. 509). Autres exemples significatifs : « Seye encore un ! » (L.M., p. 522), « Qui ôllicite ? » (L.M., p. 206), « clabaudeur » (D.A., p. 100) et « piternellement » (D.A., p. 251), sans oublier (in D.A.) « Urnuméraires », qui est peut-être aussi un mot-valise mêlant urne (ou plutôt Urne) et surnuméraire.

Dans « l’Irquide coule » (L.M., p. 340), il semblerait qu’on ait amputé liquide en ajoutant un r – mais l’Irquide est peut-être un fleuve ou une rivière existant vraiment. « Ouivre » (in C.H.) a l’air d’un retravail de Vouivre, mais le mot n’est pas inventé. Mises en gloire et émajusculées, les « Nuscules du talus » sont sans doute des « choses du talus » peut-être minuscules mais intéressant l’artiste d’art brut, qu’il s’agisse de Novarina ou de « Jean Dubufe ». Pourtant la réduction la plus drôle reste sans doute « Manuel Kant » (ce dernier ayant soi-disant écrit toutes les pièces de Molière).

Notons encore que dans « Coutez » (L.M., p. 439) et « couté » (L.M., p. 301), c’est écouter qui a été coupé et que, toujours dans La Lutte des morts (p. 462) l’injonction « Ormez vrillons » (qui semble adoucir « Formez bataillon ») sera suivie d’un « foutez cotilles » passablement grivois. Dans « fançon », l’auteur se sert du suffixe on contenu dans enfançons mais se passe du préfixe ; il s’agira ici d’«enfancer d’autres fançons » – mais son « fançons » ressemble aussi à façons (ce qui montre toute l’ambiguïté du procédé). Dans l’adjectif « ridiques » (in L.M.), que s’est-il passé ? Le contexte n’aide pas toujours à le savoir ; ici : est-ce véridiques ou ridicules qui a été tronqué ? Dans « Autologies » (A.I., p. 112), on se dit que c’est le t de tautologies qui a été ôté.

Mystère et comique d’incongruité prédominent donc mais une certaine poésie assez hermétique n’est jamais vraiment bannie du jeu (si c’en est un) que nous aurons essayé d’étudier : « C’est la saise des âmes, aison des apours » (L.M., p. 359).