1.2. Langue verte et mélange des genres

1.2.1. Une veine populaire

On le voit dans le titre même qu’il choisit de leur donner (cf. mots « lutte », « classes » et « atelier »), les premières pièces de Novarina sont comme « frappées au coin du populaire », si l’on peut dire. Cela se retrouve tout naturellement au niveau des thèmes mais aussi et surtout au niveau du langage qui est souvent plaisamment argotique.

Dans L’Atelier volant par exemple, on « se [couvre] le chou » (p. 108) et on « [vise] un poste à la coule » (p. 95). Dans La Lutte des morts, c’est le mot « pif » qui montrera le bout de son nez : dans « Ribot-Doret-Louis-Rétif, sortez d’en bas qu’on vous voie l’pif ! » (p. 353), certes ; mais aussi dans : « Bigume-Carnaque, chef ingénieur à Poil-du Pif » (p. 367). Dans Le Babil des classes dangereuses (possible périphrase pour argot), on aura même un récit célinien (cf. formules imagées, vitesse rigodonante, violence rendue comique) qui pourrait figurer dans Casse-pipe (même si on peut aussi penser à Michaux) :

‘Je fonce au tas, pensant naïf pouvoir l’vriller sans qu’y m’désosse. Lui m’bourre la case, y veut me découdre. […] Il a eu l’front ! Sitôt, j’en gueule : « A moi, natifs d’Arras ! » Y m’fait : « Goule pas, blaisiau, t’as les clapettes ! » Jouant des deux j’lui canne une pive. Y m’fait face. « Vas-y, flanche pas » que j’me rétorque en mon for intérieur. Y m’en fout deux. V’la l’autre qu’arrive avec la poularde flanquée d’ses deux rosses à faire pleurer les canons. Y s’échauffe. J’m’échauffe aussi. D’un beau plongeon morganateur, j’lui trempe une phalangekès en plein l’trou d’l’œil, l’étiaffe d’un coup. Mince de balade ! On roule à deux dans la fosse […] : coup de deuil, l’pitaine était là à nous épier planté derrière. Au clou, qu’y nous a menés, à Gap. Huit jours de rat, quoi. Les deux dans la même tanne, basse sur pattes et quatre sur trois… […] Des jours, je croyais qu’on s’étranglerait. (p. 179).’

Directement lié à l’armée, le genre « comique troupier » se présente également comme une des influences majeures de Novarina et la Chanson Automobile (in O.I.) pourrait presque nous faire songer à la transposition métaphysique d’un air aujourd’hui complètement oublié mais qui eut son heure de gloire. L’humour Vermot à l’œuvre dans les chansons en question (jeux de mots douteux, esprit blagueur), le genre titi parisien (plein de gaieté et d’ironie) et la parlure parfois rude d’un Gavroche trouveront donc une sorte de postérité littéraire dans une œuvre comme Le Discours aux animaux même si l’argot y côtoiera prière chrétienne, formules liturgiques et théologie négative ; c’est ainsi, tout naturellement, que le refus radical du réel et l’angoisse métaphysique du narrateur-auteur pourront s’exprimer dans une phrase définitive comme « Je ne peux plus pifer l’univers » (p. 112).

On tombera aussi sur des tournures familières et incorrectes comme « quèque chose d’intéressant » (p. 212) ou « C’est une histoire que quand je l’entends, j’en mène pas large » (p. 104), des images humoristiques comme « son juge outré vira citron » (p. 72) ou encore des mots et expressions tels que « calcifs » (p. 171), « frangines » (p. 241) et « triste pignouf » (p. 255) – avec, dans cette pièce, une sorte de prédilection pour le vocable « klebs », utilisé à la page 190 mais aussi dans « Kif-Klebs » (p. 238) et « klebs de carnasserie » (p. 84).