1.3. Une littérature à contraintes ou la délimitation
d’un terrain ?

1.3.1. Un parcours initialitique

Comme dans Le Vol d’Icare (où Hélène s’écrit. L.N.) et Sally plus intime (avec le moule en H…M…R, sur lequel nous reviendrons), les initiales pourront avoir leur importance chez Novarina et faire l’objet de jeux étranges : c’est qu’ici, « V.N. » est bien sûr à rapprocher du nom de l’auteur mais peut-être aussi de « Voie Négative ». Pourtant, ce n’est pas le seul jeu (?) proposé : dans La Lutte des morts par exemple (p. 400), il s’agira pour un personnage de sexe féminin de « [prendre] la position Du Chien Qu’on rate. D.C.Q.R. » – cas très rare de sigle commençant par « Du » ; quant au « F.N.R.B » , le sigle est « inconnu au bataillon » (sauf pour l’entame en F.N.). Dans Le Discours aux animaux, c’est une conjonction de coordination qui correspondra au « M » dans M.N.R.I.M.R., soit « Mais cet élève N’entendit rien car Il Mentit comme il Respire ». Les initiales M.P.L.S.L.N., elles, correspondront plus poétiquement, dans L’Atelier volant (cf. p. 101), à « Mes Premières Larmes Sur La Neige ».

Dans Le Drame de la vie, les initiales semblent assimilées à des choses existantes (mais lesquelles ?) et fonctionner comme des jalons, des bornes dans l’existence des personnages : « la scène a lieu dans un P, la scène a lieu dans un V. ». Puis le jeu se poursuit : « Entre V guidé par l’ homme de X. Entre V guidé par l’homme de X ». A la page 178 de La Chair de l’homme, « le porteur de deux pantalons » va jusqu’à se définir à partir de marques désignées par des initiales : « Je porte la marque I.L.F. sur ma combinaison marquée G.E.R.G., avec deux pantalons intérieurs indépendants à glissières, marqués F.U.D. et R.O.L. ; mes deux gants sont marqués U.F.P. et R.O.L ; mes deux gants sont marqués U.F.P. et ma tête est marquée d’un trou de tampon idem », « R.O.L » étant peut-être un clin d’œil aux initiales (cf. « P.O.L ») de l’éditeur de « V.N. » (p. 178). A la page 28 de Je suis, un parcours de vie sera même balisé par des initiales :

‘[…] j’ai marché de N à N’, travaillé chez T’, puis poursuivi la filière F par sa diagonale B, puis en sens inverse de U à U ; puis redenouveau de U à U, puis redenouveau de U à U où sous l’influence I du facteur A, j’ai rencontré le problème B, qui s’aggrava jusqu’à la fin F où j’ai plus vu la personne P. A l’hôpital de H l’infirmière I me parla de ma mère M, de mon père P, de mon frère F, de ma sœur S.’

Ce procédé quasi-géométrique semble assimiler de façon tragi-comique l’homme à une vulgaire boule de flipper allant d’une lettre à une autre sans qu’il y ait grand sens à tout ce mouvement. Ce type de parcours fâcheusement et funestement « initialitique » se retrouve dans les « amossiennes malédictions » de L’Anthropoclaste dans L’Origine rouge (p. 152) : « Pour avoir divisé tes habitants en trois zones A.B.C. et chaque zone B, en trois habitants D.E.F. ; et chaque zone F en trois habitants I.J.K., malheur à toi, Saint Chamond : ton hôtel de ville se lézarde ! »

Dans ce festival fait d’initiales, les Machines à dire Voici ne seront pas en reste, qui nous bombarderont à coups de sigles anormalement longs comme « U.N.F.L.S.C.I.O », « F.L.P.P.K.R.S. » et « F.C.P.R.T.S.D.F.G.U » (O.I., p. 31) où l’on reconnaît pêle-mêle F.C. (comme « Football club »), C.I.O., S.D.F. et F.L.P. ; et il y aura aussi des noms de groupes écrits en majuscules comme le SERUSODOLOSSE (O.I., p. 32), la FOGEPA (O.I., p. 33), la SOMNITEC (O.I., p. 35) et CAPITOL-S.A. (O.I., p. 35) ; là encore et comme pour une overdose publicitaire, on a le sentiment comique mais presque oppressant d’une invasion de l’homme par les initiales – or, il n’est pas sûr qu’il gagnera la partie.

L’invasion continue dans L’Opérette imaginaire (pp. 36-37) avec les laboratoires PANACOTAL, la CREPICAPAD (qui peut se lire comme un « crépis qu’a pas d’ ») et la BORNACOTRA (qui fait penser à SONACOTRA), sans compter la PROPIDIADUC de L’Origine rouge (p. 31) et bien sûr la CRAPUL (qui annonce la couleur).

Dans L’Acte inconnu, il est question de la « Plériclarub » (p. 94), mot dont le début évoque un pléricat annoncé. A la page 21, on tombe sur la phrase «  Il entre à nouveau un essaim d’hommes H à vitesse grand V. ». Aux pages 14 et 40, l’initiale désigne une ville : la ville de U. A la page 23, on parlera des codes A et B et à la page 37, on va jusqu’à adorer ces deux lettres : « Les Anthropodules chérissent alternativement le A et le B ».

De plus, il arrive que les chiffres s’en mêlent comme à la page 143 de La Scène (« île de I », « Vision de L.V. », « une 1815 ST 74 ») mais surtout à la page 16 (l’inquiétant « chiffre du Diable » faisant aussi partie de la liste) : « Alors je me suis assis au bord de la RN 666 et j’ai vu passer 1725 DB 75, 7867 WW 51, 8734 HG 82, 98745 DH 65, 39856 CWTG 57, 35767 SR 34, 9835 GF 98 » ; puis on lit sur des « panneaux très hauts » des slogans-conseils très novariniens comme « Moisissez sur place !». Dans les trois cas (« pubs », initiales et chiffres), l’homme est noyé, immergé ; est-il même encore là ? Pas vraiment : on lui dit « Voici » et il assiste au spectacle proposé ; il ne fait plus rien d’autre – bref, le moisissement sur place (cérébral et intellectuel pour commencer) le guette et Boucot gagne du terrain.