2.1.3. « Tout jeune, j’ai décidé d’échouer »

Pour nous appuyer un peu (une fois n’est pas coutume) sur la biographie (nous faisons allusion au travail accompli par G.J. Salvy pour les éditions Corti34), il faudrait tout de même préciser qu’enfant, l’auteur éprouvait semble-t-il une relative difficulté – ou peut-être était-ce une sorte de refus inconscient, d’anarchie – à reproduire une certaine lettre, mais pas n’importe laquelle : « Colère du père alors que son fils est incapable d’écrire le D majuscule dans une dictée où il est question de Dieu. » – déjà (c’était en 1951), l’enfant Valère (voulant peut-être signifier par-là que Dieu est petit) regimbe (critiquant Pascal par ailleurs) et ce n’est qu’un début - il continuera le combat (sous la forme d’une œuvre jouée et publiée).

Si l’on s’en réfère à cette biographie tellement drôle par moments (en ce qui concerne certains détails et anecdotes) qu’elle semble présenter des éléments de type canularesque, on se rend compte que la cancritude, toute relative ici, était un peu le propre de l’enfant que fut Valère Novarina (« 1955 : Est mis dans la rangée des cancres, et l’institutrice, qui s’est fait teindre les cheveux en bleu, refuse de le présenter à l’examen d’entrée en sixième. Il s’y présente seul et sera reçu premier » ; quatre ans avant : « Prix de français » / « Reçu dernier sur trois cents candidats au B.E.P.C.»). Autre exemple de paradoxe apparent : « Premier prix de catéchisme. Mais refuse de s’agenouiller pendant la messe »35.

Le refus est encore présent dans des occurrences biographiques comme « il préfère […] jouer avec les filles et déteste le sport » (p. 353), « Communion solennelle de force » (p. 354) ou encore « Lit les Pensées de Pascal et en écrit une réfutation sur un carnet vert que les élèves tentent de lui dérober » (p. 354). Or, cette logique de refus se retrouve tout naturellement dans l’œuvre – et l’auteur se sert même, à l’occasion, du nom de ses anciens professeurs (ce qui est une démarche très jarryque) ; c’est ainsi que Madame Pinochet36  devient manifestement un homme (« Pine, tu bandes » !) dans Le Babil des classes dangereuses, preuve nouvelle de l’importance pour lui des souvenirs scolaires et religieux. Ce qui semble évident, c’est que ce ne sont pas forcément de très bons souvenirs ; en tous cas, l’institution scolaire et tout ce qu’elle implique, n’est pas toujours montrée sous un jour favorable : « Quand j’étais enfant maintenu de force en pension, je mangeai de la pensionnade » (O.I., p. 15). Le plat n’a pas l’air ragoûtant...

Scène rappelant par certains côtés La Leçon de Ionesco (« La philologie est un crime » étant une phrase quasiment reprise dans L’Acte inconnu), on retrouvera dans Je suis la situation classique de l’élève jugé et du tableau noir (qui devient le « tableau black » à la page 48 de Vous qui habitez le temps) : « la craie répondissait d’elle-même qu’il n’est pas de néant. Phrase que je transformais en Théorème de Moi : "– Nul néant qui soit pas". Mais la craie me tomba des bras et j’eus zéros à la suite de ces mots » (J.S., p. 172). Assez paradoxalement, la figure du Cancre logique se retrouve un peu dans le personnage de La Grammaire dans Je suis. Quant aux bulletins de notes, ils seront comme implicitement parodiés dans « j’appris que j’avais "très bien" en passion mais qu’en action j’avais tout faux. » (V.Q., p. 71) ; bref, le bilan est catastrophique (« A l’examen des sentiments humains, j’ai fini bon dernier », etc.).

Notes
34.

G.J. Salvy, « Vie de Valère Novarina », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 352.

35.

Ibid, p. 352.

36.

Ibid, p. 352.