2.1.9. Un feu d’artifices de fautes d’orthographe

Il est certain que dans La Lutte des morts, on assiste à un véritable festival de fautes : même les personnages qui ne devraient pas en faire en font – ainsi de Sargeon Loret qui prétend vouloir donner un cours d’histoire de la langue (p. 365). Dès la « matiernelle » (p. 366), on parle de façon incorrecte ; de ce point de vue, l’école est « spoliante » et on parlera d’ailleurs du « spolaire » (p. 366).

La syntaxe non plus n’est pas respectée comme dans « Illicusse qu’on m’du trouque qu’on sorte c’est là » (p. 358), où on a l’impression que les lettres ont été permutées (« Qu’on m’sorte illicusse du trou qu’est là » ayant déjà plus de sens). De même « les quatre créaturons que le ténor Salpêtrier voulait qu’elles sortent, sont là » ne veut certes pas dire grand chose mais n’est pas non plus correct sur un plan syntaxique ; « les quatres créaturons, dont le ténor Salpêtrier voulaient qu’elles sortent, sont là » serait déjà plus acceptable. Moins grave : « Lui fous pas-y la main » (L.M., p. 367) qui devrait se dire « Lui fous pas la main » ou à la rigueur « Fous-y pas la main » – idem pour « Qu’elle heure-y-z-ont dit qu’il est » ? (O.I., p. 43) : « Quelle heure ont-ils dit qu’il était ? » semble une tournure plus correcte.

Outre les « opitéaux des gens sans les oreilles » (p. 384) et pour rester dans La Lutte des morts, il y a aussi des « culs grinçaux » (p. 379) et des mots bizarres comme « poilu-nave » (p. 484), « mécanussien » (p. 352), « Crépusculement » (p. 456), « presses languereuses » (p. 484), « co-nubile » (p. 368), « patrancière » (p. 357) sans compter les expressions correctes mais parfaitement incompréhensibles comme « Le songe des fesses a existé » (p. 509) ou « Va au fou, j’ai giclé ! Mal à mon stage. » (p. 433).

Cela dit, redisons-le, il y a vraiment une esthétique de la faute et quand on maîtrise un peu le novarinien, on peut par moments, chose très étrange, ne pas être tout à fait d’accord avec certains choix de l’auteur lui-même ; ainsi, la phrase pourtant à peu près correcte « Nous levons à tous nos culs enthousiasmants » nous paraît fautive car dans l’esthétique novarinienne et à l’image des « culs grinçaux », c’est plutôt «enthousiasmaux »  qu’il aurait fallu dire : qu’en penserait Novarina ? Nous serions très curieux de le savoir.

En matière de fautes, Le Babil des classes dangereuses n’est pas en reste : « déjeunage » (p. 234), « marmonnades » (p. 270), « Glôment s’écrit » (p. 206), « bouillie infexe » (p. 216). On propose encore « têtuement » (p. 249), ce qui n’est pas si absurde car un tel proverbe pourrait presque exister – idem pour « connectude » (p. 312) : après tout, Jarry disait bien « connexités » même si c’est "connexions" qui, en français actuel, semble l’avoir emporté.

C’est qu’on invente aussi des mots comme « clirqueur » (p. 216) ou « lunecarne » (p. 294). Cela dit, certaines expressions peuvent présenter un intérêt poétique et/ou humoristique: Ainsi, les « Ambulateurs du somme » sont sans doute des somnambules (p. 302). L’illusion d’optique se retrouve un peu dans « indillusion scopique » (p. 159). Quant aux « pique-niciens » et aux « pique-niciennes » (p. 310), ils semblent représenter un nouveau parti politique. Le « douteur », lui, est peut-être un docteur sceptique (p. 176).

Dans L’Atelier volant, on mélange « Voulez-vous bien » et « s’il te plaît » dans l’incorrect « voulez-vous s’il te plaît » (p. 64). Autre faute (sans doute liée à une prononciation critiquable) : « Ascoltez ce que je vole vous dire » (p. 142), « Ascoltez » rappelant « Auscultez ». Dans Le Drame de la vie, le feu d’artifice continue avec « exprimation » (p. 201) et « combination » (p. 176) ainsi qu’un tir groupé, à la page 98 : « larmiots », « floupiots », « couplards ». On délirera même complètement avec des mots tout à fait aberrants comme « Formidobélédron » (p. 171) ou à la page 172 » Narcodéonmillibloque », « Saucissonardes » et « Luminifoderies d’élilimiferdies ». Dans Vous qui habitez le temps, on s’exprime en « phrases mal faites » (p. 53) et en « phrases de sens fermés » (p. 52) tandis que dans Je suis, on « [jette] partout des pluriels incomplets » (p. 40). Dans les pièces qui suivent, la Machine à faire des fautes fonctionne toujours mais de façon peut-être plus ponctuelle ; dans L’Acte inconnu par exemple, elle s’emballera littéralement au moment de la scène hilarante (et évoquée ci-avant) des conjugaisons incorrectes.