Bref, il y a dans cet univers comique fait de fautes et d’enfance(s) comme une incompréhension de celui des « adultes » (jugé peut-être faussement sérieux) auquel il semble une réponse potache, un pied de nez pataphysique : « Elevé dans un gaminaire, je comprenais plus rien au réel adultin. » (J.S., p. 75) : cette phrase pourrait vouloir dire que le « gaminaire » (l’école ?) change pour toujours le regard que l’enfant porte sur le monde ; il s’agit pour ce dernier de quitter certains repères et de « passer à autre chose », d’éviter la faute par exemple.
Par une forme parfois comique d’anarchie, il y a ici au contraire plongée dans la faute, plaisir subtil d’en proposer, de manière à faire en sorte (c’est une des hypothèses possibles) que « les officiels [s’affolent] », « seuls les autres [sachant] encore quoi dire » (pour reprendre une didascalie de La Lutte des morts). De même, lorsque, dans Le Discours aux animaux, il est question d’» enfance(s) d’inscription », cela peut certes s’appliquer aux écrits camouflés du jeune « je » (ce qui est d’ailleurs, semble-t-il, assez autobiographique) mais également (pourquoi pas ?) à la paperasserie et à toutes les formalités(/tracasseries ?) administratives qui commencent en fait dès l’école : fiches à remplir en début d’année, bulletins à faire signer par les parents, cahier de texte, carnet de liaison, etc.
L’auteur lui-même semble donc avoir gardé un pied en enfance (les enfances constituant d’ailleurs un genre littéraire auquel, tel Rabelais, il semble se prêter volontiers, notamment dans Le Discours aux animaux) : de là lui viennent sans doute son énergie créatrice et son goût pour le jeu avec les mots ; pourtant, à l’en croire son cas serait loin d’être particulier puisqu’il écrit dans Pendant la matière : « Il y a en nous un esprit joueur, un enfant qui mime, une pensée qui trouve la parole en se souvenant d’un air perdu. La pensée se trouve en dansant ».
Dans « Mort à la mort »40, Marie-José Mondzain dit de l’auteur qu’il « [choisit] les mots de l’enchantement, du plaisir de dire, des mots qui sont en suspens sur la branche comme le sourire flotté d’un certain chat sans corps qui plaisait à l’inquiétude d’Alice, elle qu’inquiétait aussi un œuf déraisonnable raisonnant au bord d’un mur pour que vacille le sens par simple fait de la conversation ». Enfin, pour terminer cet article41, elle pensera à la langue d’un autre cancre (comique si l’on veut) de la littérature française :
‘Je pense à la langue de Céline qui a commencé elle aussi d’abord par être une douleur d’enfant. Une panique inconsolable qui ne triomphe des monstres que par les voies de l’écriture. Céline fidèle aux craquements des mots sous la dent, à la fluidité du verbe dans la salive, a pratiqué avec génie la vitupération exorbitée, comme si la conjuration de son désespoir n’avait d’issue qu’excrémentielle. Il s’est exclu du salut parce qu’il ne savait plus saluer. Novarina me semble parfois l’une des plus pures réponses à l’infamie de ce siècle […]. Il ne prend la parole que pour la donner. Son écriture n’est ni production, ni excrétion, elle est une geste. ’Cette geste évoquée par Marie-José Mondzain a peut-être à voir avec les mini-épopées que l’enfant peut se raconter en fouillant dans sa caisse à jouets : petites voitures, poupées, peluches et figurines en plastique s’intégrent peut-être à des histoires fantastiques relevant du novarinien. Au fond, ce que veut l’auteur, c’est retrouver la « boîte avec les petits hommes dedans » dont il est question dans La Scène (p. 32) et les « petites autos dans le placard » dont il est question dans Le Jardin de reconnaissance (p. 68).
De façon tout aussi subjective, il y aurait donc, nous semble-t-il, une critique relative de l’institution scolaire (peut-être parfois brimante et trop normative) et comme un refus de signifier que l’enfance est « le plus bel âge de la vie » – dans Le Drame de la vie (p. 95), on parle même de « l’imbécile tragédie de l’enfance ». Enfin, au dos de L’Inquiétude, en quatrième de couverture, on pourra lire ces quelques lignes assez énigmatique : « Cette enfance malhabile me préparait on ne peut plus mal à la vie qui va suivre : car pour l’homme – sachez-ça ô enfants – l’enfance est une très mauvaise formation ».
Marie-José Mondzain, « Mort à la mort !», Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 324.
Ibid., op. cit., p. 326.