2.1.11. Un message politique

→ Novarina et l’école

Jusqu’à présent, nous avons évoqué la sympathique insolence de "l’enfant Valère" mais si nous étions capables de faire une vraie lecture politique de L’Atelier volant, nous dirions que chez le premier Novarina, la figure professorale est d’essence boucotique ; c’est peut-être aussi un trait d’époque et de génération (cf. parenté école/police voire grammaire/fascisme) : « L’orthographe est une mandarine » prétendait on alors. Toujours est-il qu’on croise souvent des « vilaines maîtresses », de « vilains docteurs » (voire de terribles examinotaures, dans les œuvres du début).

Dans L’Atelier volant, c’est Boucot lui-même qui se comporte en professeur cherchant à humilier ses élèves : « De cette tête se dégage une épaisse fumée. Ah, vous avez devant vous une jolie brochette de cancres !… Tu ne peux rien faire, tu ne sais pas le langage… » (p. 59). Le mépris affiché sera total : « Si vous alliez un peu plus à l’université, vous seriez moins bêtes » (p. 61). Or, les ouvriers insultés se trouvant dans l’obligation de travailler, il ne saurait être même question pour eux d’entreprendre des études – nous voici en présence d’un véritable cercle vicieux : l’éducation n’est pas encouragée par le pouvoir en place qui ose se moquer des lacunes qu’il aurait pu contribuer à combler. Ici, Novarina nous met en présence d’une société hypocrite qui sanctifie la rentabilité au lieu de favoriser la formation de ses classes laborieuses. Et si l’opprimé proteste, il est immédiatement remis à sa place par des phrases comme « Reste dans ta nature, Bob » ou, plus fascistement impératif : « Que l’on fasse taire ces langues qui fautent » (B.C.D., p. 309).

A la page 148 de L’Atelier volant, un oral se transforme en interrogatoire : « Que voulez-vous dire et d’abord d’où venez-vous, où voulez-vous aller, donnez-nous des exemples ! » Devant tant d’agressivité, A. se trouble et bafouille : « Où ? Pas. Allons-y au pas. Mais il ne faut pas nous marcher dessus. Il ne faut bras » (p. 148). Puis l’oral se poursuit (« reprenez des débuts ! »), les questions se font gênantes («  Montrez-en plus ») et l’examinatrice, Madame Boucot, reste dans son rôle ignoble fait de sadisme et de mauvaise foi : « Excusez, je n’ai pas bien suivi la queue de votre phrase, où était l’intention ? » (p. 151).

Enfin, dans une scène se situant au début de la pièce, Boucot couronne de papier (une allusion au bonnet d’âne ?) celui qui a échoué (A.V., p. 56). Autre pratique détestable, le bachotage (et sa vulgarité) est peut-être implicitement dénoncé dans « bon poussin au partage du savoir, je me hâtais d’en dégober le meilleur grain » (B.C.D., p. 176) et « C’était pas tellement mon sujet. J’aurais dû étudier la reproduction » (p. 56).

Quant au terrible Vipéricien, il s’apparente un peu à la figure comique d’un savant très objectif dont la rigueur pourra faire rire ; dans les dernières pièces étudiées ici (cf. cours de Léopold von Verschuer ou de Dominique Pinon, dans L’Acte inconnu), si le professeur est moins agressif et fait moins peur, on rit toujours à ses cours, Tournesol et Cosinus n’étant jamais bien loin.