2.2. Entre « Jean Dubuffe » et Lewis Carroll

2.2.1. Le fils spirituel de Dubuffet

→ Un pied de nez à la Littérature avec un grand « L »

C’est surtout l’anarchie novarinienne (sur laquelle il faudra revenir tout au long de notre thèse) qui explique toutes ces initiatives potaches et toutes ces fautes d’orthographe. Anarchie qui a, semble-t-il, pour cibles privilégiées le système scolaire, l’arbitraire du signe et la littérature elle-même, l’acte créateur et sa réception : « Sachez que celui qui écrivit ceci n’a rien à dire mais vous emmerde. » (D.A., p. 240). En cela consiste aussi l’art brut novarinien : faire un pied de nez à la Littérature avec un grand « L », marmoréenne et sans surprise, et incapable d’humour et de réflexivité.

On l’aura compris : nous voudrions surtout ici montrer, en adoptant pour commencer un point de vue théorique, ce qui préside au choix d’une rhétorique littéraire relevant d’une rupture avec la norme en général et de l’art brut en particulier…

Tout d’abord, il semble que l’art brut laisse une chance à ce qu’on pourrait, peut-être improprement, nommer le sua causa : celui qui le pratique, en se marginalisant par rapport à une conception officielle et normative, en refusant les canons en vigueur ou les ignorant tout à fait – comme certains créateurs asociaux (ou considérés en partie comme des malades mentaux) ou encore certains paysans-artistes créant de poétiques épouvantails (sans toutefois être passés par la case Beaux-arts) –, celui qui le pratique donc, fait souffler un vent de liberté (novarinien, en quelque sorte) et semble tout à coup capable de créer vraiment, c’est à dire un peu comme un enfant qui découvre le langage et s’en sert à sa manière. L’art brut, on ne le sait pas assez (et que nous soit pardonnée cette légère digression), est peut-être aussi une forme de sagesse, une philosophie, un art de vivre voire une manière de « mener sa barque dans l’existence » ; dans « Cymbalum Mundi »43 Jean-Noël Vuarnet ira d’ailleurs un peu dans le sens de cette idée :

‘La philosophie anomique de Valère Novarina est un peu ce qu’est l’Art brut à l’art académique. C’est aussi le cas de son art graphique qu’il ne faut jamais dissocier de sa démarche d’écrivain. C’est un théâtre total que, là, nous pouvons entrevoir. Pas celui de Wagner. Plutôt celui dont rêvait Wöfli. Une philosophie d’artiste, un art de philosophe - l’un et l’autre, « plus ou moins coiffés de grelots », selon la belle expression de Dubuffet.’
Notes
43.

Jean-Noël Vuarnet, « Cymbalum mundi », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 256.