2.3. Oneilles et orilles : le clin d’œil à Jarry

2.3.1. De « tuder » à « crimer » : une filiation évidente

→ Gare aux orilles 

Contrairement à la « nov’lang » inventée par Orwell (cf. 1984) et qui par sa sécheresse, sa pauvreté et son manque total de fantaisie annonçait le Journal de vingt heures, le novarinien apparaît comme une langue très riche, foisonnante et multiforme. En cela, on pourrait certes la comparer au joycien voire au rabelaisien mais ce serait nier en partie sa nouveauté et sa singularité profonde. De plus, c’est peut-être de Jarry que Novarina se sent le plus proche ; n’affirme-t-il pas « j’ai eu parfois l’impression de l’avoir complètement écrit » à l’occasion d’une interview accordée à la revue Scherzo ?

Ici, on pourrait presque évoquer l’idée, chère aux oulipiens, de plagiat par anticipation tant il est troublant de constater, en effet, la correspondance existant entre certains néologismes novariniens et les mots de Jarry qui sont passés à la postérité. Nous faisons notamment allusion à la récurrence des « orilles » qui ressemblent certes aux ourilles du patois de Haute Loire, aux « aureilles » de François Rabelais et bien sûr à nos actuelles oreilles, mais semblent surtout faire écho littéraire aux fameuses « oneilles » du Père Ubu – notons par parenthèse et pour l’anecdote que chez Queneau, la filiation est beaucoup plus évidente puisqu’il inventa un personnage de lapin nommé « Zoneilles ».

Avec « orille », il semble cependant que l’on reste dans l’animalité, et il nous faudra revenir plus tard sur l’éventuelle parenté comique du vocable avec les mots gorille et morille – au reste, il se trouve que la zorille est un mammifère carnassier d’Afrique dont la fourrure est très recherchée. Les oreilles feront, ailleurs, l’objet de nouveaux néologismes (« oreillets », etc.) : en tant que trous, à combler comme il sied, elles jouent un rôle primordial dans l’œuvre de Novarina.