3.2. Un frère d’armes de Jean-Pierre Verheggen

Même s’il ne boxe pas dans la même catégorie artistique que le redoutable Entarteur – alias Le Gloupier (à la rhétorique néanmoins savoureuse, rodée et bien en place) –, il semble qu’il lance lui-aussi, Novarina, de véritables tartes à la crème, symboliques celles-là, théâtrales, littéraires, à la face de certaines institutions en place, ceci (sans doute en partie par altruisme et agacement) pour dénoncer avec force et violence des réalités effectivement de plus en plus insupportables (guerres absurdes, info-spectacle, aliénation par le travail, triomphe de Boucot, druckerisation de l’esprit, etc.), surtout en ce début de troisième millénaire. C’est ce qui nous fait penser que, malgré l’austérité toute relative de certaines pièces (Je suis, notamment), Novarina est au fond , comme Jarry, un potache et un farceur. De fait, il y a, chez les deux écrivains (associons-leur Marcel Duchamp) une certaine sophistication, un certain raffinement mais allant toujours de pair avec des éléments farcesques : entre le haut (?) et le bas (?), ils savent instaurer un flou artistique d’essence très pataphysique, une confusion fondamentale. Dans un même ordre d’idée, l’érudition de Novarina n’empêche pas qu’on puisse le considérer comme un artiste d’art brut – idem pour Dubuffet (par ailleurs membre du Collège de Pataphysique). Ce type de dualité (cf. art but / savoir livresque) s’applique donc à ce que l’on pourrait appeler la farce ou le burlesque et la sophistication la plus extrême : Marcel Duchamp – dont on dit qu’il serait mort de rire dans son lit en lisant du Alphonse Allais (mais le Zarathoustra figurait également sur sa table de chevet) – fut l’exemple vivant de cette alchimie, qui serait donc tout à fait possible, entre humour et intelligence, dérision et raffinement.

Un peu dans un même ordre d’idée, il se trouve que Jean-Pierre Verheggen, ancien de TXT et publié comme Novarina en Poésie-Gallimard (et à peu près en même temps), a rédigé un véritable essai, tout à fait sérieux, recevable intellectuellement et très documenté (travail de fond, citations, références livresques, etc.) sur Antonin Artaud dans lequel il nous incite à trouver notre voix et à refuser une certaine aliénation socio-verbale, ce qui est un combat également novarinien (nous y reviendrons). Or, cet essai à part entière s’intitule iconoclastement Artaud Rimbur et le style utilisé n’est pas sans rappeler par moments celui d’un San Antonio qui aurait choisi la poésie : encore un exemple tendant à prouver que farce et culture peuvent faire bon ménage…

En fait, et pardon pour tant de subjectivité déplacée, le mirlitonisme assumé de ce Fastaff belge capable d’écrire indifféremment sur Artaud ou sur Le Gloupier (surnommé  « Godin des bois » dans un texte plus récent) nous paraît même par moments, en terme d’authenticité, d’émotion et d’intensité (voire de désespoir et d’angoisse tragique face à la mort) relever de la plus haute poésie ; affirmons-le : il y a du Verheggen chez Novarina – et pas seulement en matière de comique et de potachité. Mais cessons donc d’établir des correspondances avec d’autres farceurs illustres et tâchons d’étudier à présent la spécificité de l’» orille » novarinienne et de ce type de néologismes si particuliers formés (nous semble-t-il) à partir de la technique dite de la suppression-adjonction.