2.3. La bête vide

Dans L’Atelier volant (p. 147), « donner le la » devient « donner le ah », ce qui associe peut-être musique et respiration. On pourra aussi, comme dans Le Discours aux animaux, « avoir la bête vide » et se demander s’il est possible de continuer à « hommer » dans ces conditions (bêtes étant même rapproché de têtes aux pages 168-169). Car enfin, et comme on va le voir, le procédé s’applique souvent au corps, perçu comme étranger à soi ; il en est ainsi pour les « typias » (D.V., p.184) qu’on pourrait voir comme un mot-valise formé à partir de types et de tibias. Quant à « hémisphesses » (D.A., p. 261), c’est un mot dans lequel semblent associés fesses (appelées ailleurs sphéricités) et hémisphères. Notons encore, dans un même ordre d’idée, « sphères » / « sphèces » (D.V., p. 89), « face » / « fèce » (D.V., p. 59) et « tonsure / torsure » (D.V., p. 225).

Par ce procédé quasi-magique mais sans qu’il y ait vraiment une raison précise à la transformation opérée, les gants blancs semblent devenir des « gens » (D.V., p. 208) ; les archets, des « orchets » (D.V., p. 176) ; les sornettes, des « sonnettes » (D.V., p.102) ; et tel garçon, un « garçob » (D.V., p. 221), possible mot-valise où la masculinité se voit renforcée (garçon + zob). Dans « Fuis-je un homme ?» (D.A., p. 319), le cogito est peut-être implicitement retravaillé, « je pense donc je suis » devenant « j’avance donc je fuis » – mais qui et pourquoi ?

Bref, cette figure rend tout flou, nous fait perdre nos anciens repères. Cela peut même concerner notre perception des couleurs : qu’est-ce donc que le « fleu » ? Le bleu du feu ? Un bleu flou ? Fluorescent ? Bref, le mystère du fleu restera entier, pour toujours et à jamais. Dans Le Discours aux animaux, le feu sera d’ailleurs qualifié de furieux, ce qui permet d’humaniser de façon troublante l’élément en question – ce feu furieux s’apparentant à un fou furieux, ce qu’il est poétiquement (le philosophe Bachelard l’aurait peut-être confirmé).

Pour le « Trou Blanc » de la page 135 du Discours aux animaux, s’il s’oppose à « Trou noir », il provient peut-être aussi de « Chou blanc » (retravaillé ailleurs pour aboutir à « chou-bœuf »). Un nom comme « Jean sans Rien » (D.A., p. 170) pourra nous évoquer une expression comme « j’en sais rien » (« Jean Sérien » et « Jean Saurien » n’étant pas loin). A la page 122, une chanson, ou plutôt une « rechanson » ne sera pas serinée mais « surinée », cas étrange de mot-valise (surin+sérinée) dont il faudrait parler dans la partie sur l’art performatif novarinien : c’est peut-être aussi une référence indirecte à Brecht, chez qui les surineurs chantent en effet. Enfin, on passera d’» émission » à « omission » (D.V., p. 202). Autres cas puisés dans Le Discours aux animaux : « millions » (movalisé avec « myriades ») qui devient « myrions » (p. 290), « brutalement » qui devient « brutalament » (p. 290) et « je pensais que » qui devient « je penchais que » (p. 177), ce qui pourrait vouloir dire : « J’étais plutôt de l’avis que ».