2.5. L’Orifice rouge

Il arrive aussi que le procédé ne soit pas vraiment utilisé mais juste suggéré comme dans Je suis, à la page 30 : « Je vois les gens autour aller bon train, mais c’est le signe que les gens vont en vain ». Ici, l’effet est le même : « aller bon train » et « aller en vain » sont mis au même niveau, ce qui semble assimiler les gens à d’absurdes Shadoks qui pomperaient de belle façon, et même avec entrain, sans se poser la question du vide de leur existence – cette interprétation semble validable par la présence, dans la même page, de la phrase « Chaque humain porte sa tête pour rien ».

Plus loin dans la même œuvre, le procédé sera repris : « Par quoi s’exprime le corps ? Le corps s’exprime par la mort ». (p. 48). Mais continuons avec Je suis où l’on constate à nouveau que, quand il y a du chien, le rien n’est pas loin, ce qui pourrait presque revenir à poser novariniennement « Là où il y a de l’animal et de la vie, il y a de la mort et de l’entropie » : « Alors je répétai à mon corps de faire le chien et il se tut ». (p. 165). Ajoutons que l’«entropie » pourra aussi s’appliquer à l’» anthropie » : c’est un renversement toujours possible. A contrario mais toujours dans Je suis (p. 133), si « » manger » est rapproché de « changer », c’est révélateur d’un désir, d’un faim de changement par « mangerie » : « Lorsque nous mangeons, c’est signe que nous avons faim de changer les choses » ou « Lorsque nous mangeons c’est pour changer les choses en nous » ; bref, c’est du « nourrir » que l’on oppose au « mourir ».

Pour finir avec Je suis, citons aussi le rapprochement possible moi/mois de la page p. 109 et surtout pierre/prière (cf. p. 61) ou encore « » aller nulle patte » (p. 124), « ainsi de fuite » (p. 58) et « sinérurgie » (p. 108). Le festival continue dans Vous qui habitez le temps avec l’étrange métier de « narcutier » (p. 68) et « faux lapsus » (p. 77) qu’on pourrait éventuellement rapprocher de collapsus – et précédé de décédé dans « père précédé ». Par suppression-adjonction d’un mot, des expressions françaises seront encore modifiées ; ainsi, « l’opération à cœur ouvert » devient « une « opération à ciel ouvert » (p. 34), « buvez cul-sec », « vivez cul-sec » et « sans toit ni loi », « sans toi ni moi ». Pour parler du strict contraire d’un « grand beau temps », on dira « Il fait grand moche » (p. 15). Avec l’ajout d’un « l », le mot « science » devient « silence » – et les « bâtons de science » semblent alors se transformer en « bâtons de silence » (pp. 36-37). Enfin des mots se ressemblant seront mis en présence : « dâte de veille vieillie d’un pont » (V.Q., p. 29), « Le temps dehors était stable et demeurait dans du sable » (V.Q., p. 30). On apprendra encore dans cette pièce qu’on peut échouer à ses examens à cause d’une suppression-adjonction en forme de lapsus fatal et absolument non-rattrapable, même en deuxième session :

‘Le cursus fut parfait, sauf au finale d’examen d’art où professeur Rémy Laplace m’interroge par inadvertance sur une huile d’Osbert : « La femme à l’ananas » ; laquelle de mes langues fourchant, je lus « La femme à l’ananus ».’

Ce n’est certes pas toujours le cas mais il y a parfois un sens à la figure ; ainsi, dans la phrase qui suit, si « Cendre » devient « Sambre », ce n’est sans doute pas par hasard : « j’allais voir Jean Cendre, que je surnommais Jean-Sambre-et-Meuse car il fifrait toujours cet air en mi ! » mais ce n’est pas le cas dans la paupire et les harbes du Jardin de reconnaissance (idem pour « i non plus »).

Autre cas, puisé dans Le Jardin de reconnaissance (p. 41) : le verbe « réévaluer » qui se voit retravaillé dans « Ravalons l’homme pour ce qu’il est ». A la page 47, un « quoi » devient un « poids » qui devient un « moi » pour redevenir un « quoi » –mais cela relève plus d’un glissement métonymique avec retour à la case-départ que d’une suppression-adjonction pure et simple. Ici, quand on jette quelque chose (« du mourir », par exemple), on ne le jette ni au loin ni au chien mais « au rien » (p. 30). Enfin, dans « Tais-toi » (p. 79), c’est peut-être « T’es toi » qu’il faut entendre.

Notons encore, cette fois dans L’Origine rouge, que des forces alliées y deviennent des « forces ailées » (p. 41), que « n’y voir que du feu » devient « n’y voir que du bois » (p. 109) et que l’assez pagnolesque « O bonne mère ! » devient « O bonne mire ! ». De même, l’» émoi » se change en « effroi » (p. 105) et un « air pincé » devient « percé » (146). Quant à « Dieu », le mot sera rapproché de « lieu » à deux reprises : à la page 94 (« Louange à Dieu et gloire au lieu ») et à la page 106 : « Vidange et louange au Dieu créateur […] Louange au Deux, aux Lieux, au Chien Borgne », rapprochement à rapprocher (si l’on peut dire) de la confusion instaurée entre « inri » et « ici ». Autres rapprochements : entre « bien » et « rien » dans « Menée à bien et à rien » (p. 32) et entre « tort », « dehors » et « mort » (p. 90)

A la page 145, « U BUNHUM NIHIL » (le « Bonhomme Nihil » s’étant donc transformé) se mettra absurdement à chanter « Un jûr tû verrû, / Le crûque-mûrt t’emporterû / U plutût tu l’verru plus : / Car tu s’rabbu défunctuu ». Quant au « u » final d’«urluberlu », il sera remplacé par le suffixe « istes », les « Urluburlistes » étant sans doute des farfelus et/ou des illuminés (O.R. ; p. 26). Quant à l’entame en « Un jûr tu verru », elle pourra rappeler le vers d’une chanson de Mouloudji (« Un jour, tu verras », etc.). Concernant le titre, on ne réalise peut-être pas assez la parenté entre les mots Origine et Orifice : l’Orifice rouge, s’il évoque un peu la plaie de Jean des Trous (et le scepticisme de Thomas), s’expliquerait par la perforation déchirante que fut l’apparition de cette Parole qui transperça Adam comme une épée sanglante – et ce serait donc pour cela que, depuis, on parle d’Origine rouge, périphrase possible pour parole.