Comme on l’aura compris, ce procédé quasi-magique (cf. La Belle / La Bête, carotte / carrosse) qui semblait plutôt préposé à l’humour – et qui fait, par exemple, qu’Ulysse devient Alice, qu’une truie devient Troie, un gaulliste devient gauchiste, qu’avec Odile (cf. Queneau), cela devient peut-être plus qu’une simple idylle (tout en sachant que love peut très vite se transformer en leave, aimer en rimer et effusions en infusions), que l’art de la fugue devient celui de la figue, qui peut assimiler à des cousins très proches le mitron, le litron et le citron, qu’on peut se retrouver subitement sur la Planète des Cintres, se mettre à parler en putois, à écouter du Johnny alité et être mené en gâteau, que des pupilles se métamorphosent en papilles et les moustiques en mystiques (voire un corse en morse, une madone en matrone, le soleil en Solex et les verrous en mérous)– , ce procédé donc, qui fait que, dans sa Lettre 61 Merlin (Claude), rendu fou lui-aussi, contaminé pareillement, parlera d’un lector in t(f)abula (ce qui suggère aussi la possibilité d’un renversement de table en fable), ce procédé qui empêche l’héroïne du Conte d’hiver de Rohmer, confondant Courbevoie et Levallois et s’en accusant – « Je suis conne à lier » (autre cas de lapsus) – de retrouver l’amour de sa vie, ce procédé enfin qu’Umberto Eco évoque, lui, à travers l’idée de fatale coquille (cf. appropincavit / appropincabit) et de lettre qui tue, il se trouve que Valère Novarina l’utilise également, mais sans forcément chercher (laissant peut-être cela aux « âmes usées ») à nous amuser d’une façon superficielle ; en fait, on dirait même plutôt qu’il essaie de brouiller nos repères habituels d’amateurs de figures en nous proposant notamment des suppressions-adjonctions d’un genre complètement nouveau, souvent intéressantes sur le plan de l’esthétique comique et de l’incongruité formelle, mais ne faisant référence à rien de vraiment précis et ne cherchant pas spécialement à nous signifier quoi que ce soit avec tel ou tel message qui serait plus ou moins crypté.
Ici, on aura donc essayé d’illustrer de façon sans doute trop personnelle l’idée que Novarina nous paraît de ces auteurs stimulants qui, comme Joyce, Céline, Queneau ou Verheggen, peuvent donner l’envie de créer à son tour : c’est qu’en le lisant , on ne peut pas vraiment, nous semble-t-il, se contenter pas de rire, d’être troublé, interloqué (agacé voire) ou d’apprécier en consommateur blasé tel ou tel jeu de mots (voulu ou non) : il nous faut créer, travailler du « chapeau mental » et accompagner à sa manière et selon ses possibilités le fantastique Carnaval Verbal qui nous est proposé là – ou bien aller ailleurs, passer notre chemin et partir sur d’autres pistes.
Après l’avoir lu, il peut arriver (et c’est en cela que consiste l’expérience toute personnelle que nous souhaiterions brièvement évoquer) que le désir (pour user d’une expression argotique) d’en croquer nous saisisse littéralement, nous submerge même et que nous soyons beaucoup plus réceptifs qu’avant, plus accueillant à/pour tous les éventuels jeux de mots (apocope, contre-pet, néologisme, suppression-adjonction, etc.) qui, parfois, nous traversent l’esprit. Quoi qu’il en soit de cette stimulation de nos zones de Broca, une précision formelle et très importante quant à la méthode (?) utilisée par l’auteur est à apporter, que nous nous sommes jusqu’à présent contentés d’évoquer comme en passant.
Claude Merlin, « Lettre à Novarina dans son Alpe », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 250.