3.2. Epenthèses, prosthèses et aphérèses

3.2.1. Autruie/Tuyaude et féhamme/séhonnerie

Comme on l’a vu dans bon nombre d’exemples évoqués tout au long de cette partie et si l’on se souvient des « sommes gastronomiques » de Coluche ou si l’on considère le sort que Boris Vian fit pataphysiquement subir à « coquille » (voir les « Lettres au Collège » réunies dans Je voudrais pas crever), on comprend bien que le seul retrait d’une lettre (qui peut également faire d’une loupe un loup, du limon un lion, d’un talon un taon, d’un foie une oie, d’une pile une pie ou d’un cours un ours), et non son remplacement (même si l’on peut considérer que l’adjonction concerne alors du vide), peut suffire et contribuer à donner une impression de vertige et de dérèglement (de tous les sens ? des zones de Broca ? de la seule à cédille ?).

Comme chez Dubillard inventant la notion de « diablogue » ou chez Queneau inventant l’expression « joindre l’outil à l’agréable » (cas particulier où une lettre est enlevée et une autre ajoutée), l’épenthèse pourra donc, éventuellement permettre l’effet de surprise – et que des mûres aient des oreilles ou que d’un œuf surgisse un bœuf, d’une lèvre un lièvre, etc., etc.). Cette dimension se retrouve chez Novarina qui féminise autrui en « Autruie » (D.V., p. 214) et divinise un deux qui devient un « Dieu » (D.V., p. 87).

C’est peut-être dans La Lutte des morts que ce cas se rencontre le plus souvent, la lettre ajoutée pouvant être le « é » comme dans « féhamme », « perchéoir » et « séonnerie » à la page 389. On pourra aussi ajouter plusieurs lettres comme dans les « gensses » (p. 390) ou « envoléoleront » (p. 419). Dans la « léconomie » (p. 480), on est peut-être plus proche d’un cas d’agglutination. Dans « lucermie » (L.M., p. 492), on part sans doute de « leucémie » mais on permute les lettres et on ajoute un « r ».

Dans Le Drame de la vie, on féminise Tuyau et cela donne Tuyaude (p. 16) ; de même, le mot Injection (D.V., p. 245) semble se tranformer en Interjection à la page 246 – mais c’est plutôt un cas de glissement métonymique. Dans la volonté de « s’enfouir » (D.V., p. 193) plutôt que de « s’enfuir »se résume la conception autruchienne de la fuite (et la politique qui va avec). Fréquent dans La Lutte des morts, l’ajout du « é » se retrouve dans « gléacé-et-comique » (T.P., p. 47) et dans « spélendide » (D.A., p. 260) qui évoque aussi un mot-valise (spéléo + splendide), un simple «e » permettant  de transformer des coquilles en « coqueilles » (Le Repas, p. 41). Autre cas (in C.H., p. 274) : l’ajout d’un a dans « aornaient », le verbe évoquant aussi le mot aorte.