3.2.2. Ready-made et rhétorique

Le retrait pur et simple est encore un moyen privilégié de brouiller les pistes et de faire perdre ses repères au récepteur : c’est le cas dans « viser les sommes » (D.V., p. 98) où le t de sommets a été ôté, à moins de considérer qu’ici, sommes remplace cimes, ce qui, dans les deux cas, correspond à une façon sans doute plus matérialiste (cf. sommes d’argent) d’envisager la folie des grandeurs.

Par un hasard objectif nous amenant à faire une digression qui n’en est pas une, l’évocation de cette folie des grandeurs nous évoque irrésistiblement le titre d’un film de Gérard Oury et la prestation d’un certain acteur à qui Novarina (cf. Pour Louis de Funès, Demeure fragile) fait même (effet comique imparable !) tenir des propos métaphysiques qu’on imagine difficilement dans sa bouche étant donnée la filmographie du Gendarme de Saint-Tropez : il y a du ready-made là-dessous ; or, on peut estimer que la suppression-adjonction relève également de cette technique : comme un objet, le mot est là, devant nous et il suffit d’un rien (d’un retrait de lettre ou d’un ajout) pour que notre vision (du mot ? du monde ?) change du tout au tout : c’est ainsi que Duchamp procéda pour La Joconde : un seul trait (ou à peu près) suffisait pour faire d’elle une moustachue et modifier par là toute l’histoire de la peinture et de l’art en général. Cela peut aller encore plus loin : ne dit-on pas qu’un simple point d’appui pourrait permettre de soulever le monde ? L’utilisation novarinienne du procédé étudié nous donne une idée de la force de cette ancienne théorie.

De même, nous n’avions peut-être pas tous perçu le message sublime et subliminal et sublimement subliminal contenu dans le jeu follement délirant de Louis De Funès et pourtant, d’un point de vue novarinien, c’était bel et bien un prophète à la voix forte qui s’exprimait devant nous ; il suffisait d’ouvrir les yeux, semble nous signifier l’auteur. Cette hyper-perception de cela qu’on ne voit pas tout de suite mais qu’il s’agit de déceler derrière les mots, les expressions, les lieux communs et des apparences parfois trompeuses peut sans doute se développer à force de lire du Novarina.