3.2.3. Pine, puple, pourçage et assourdant.

Dès La Lutte des morts et pour en revenir au sujet de cette sous-partie, il y avait des cas de suppression de lettres et/ou de syllabes : « il fait pine à voir le pauvre ! » (p. 425), « le puple s’avance et purte boucan » (p. 527) ou encore « véritalement » (p. 369), « bruit assourdant » (p. 478), etc. Dans le cas de l’expression oxymorique « eau dure » (D.V. ; p. 24), on est peut-être parti du mot « ordure » (le fameux Sonnet des voyelles n’est pas loin et « O dure, i bleu » est comme une autre possibilité d’entame, ici suggérée).

Quant à l’» acteu » (L.M., p. 460) et aux « accidés des trains » (L.M., p. 426), il faut plutôt les ranger dans la catégorie des apocopes – idem pour la « fin du Mon » (D.V., p. 32), mot qu’on ampute encore pour aboutir juste après à la « fin du on ». On « fera encore plus fort » avec le « i » qui reste de « lui » (voir ci-avant) et le « i » qui reste de « Il » (dans une phrase du Drame de la vie disant « Je demande aux hommes de hommer et à Il de dire i »), « i » renvoyant peut-être au « I » de l’anglais et donc au « je » du français. De même, « u » vient sans doute de « ut », la note évoquant l’idéé d’un début (le début en « ut » étant aussi celui du mot «utopie »). Sur le « ut », qui « s’est glissé à la place du nombre fétiche, le « huit », dans le chiffre « huit vinjimerde quelque vingt-ut », Etienne Rabaté note, lui, dans « Le nombre vain de Valère Novarina »62 – titre comportant déjà un jeu de mots (cf. « 20 »/» vain ») du type de ceux étudiés ici – note donc que leur proximité phonétique (cf. « ut »/ « huit ») crée une « continuité » : « le nombre du nombre, c’est le son. Celui-ci figure un état originel du langage, une utopie du langage » ; sur l’analogie « huit » / « nuit » (le « h » ne s’entendant pas vraiment), on aura d’autres réflexions de la part de Novarina qui remarque aussi l’analogie « nacht » / « acht », « noche » / « ocho », « night » / « eight » (S., pp. 68-69).

Dans L’Opérette imaginaire (p. 118) et si l’on considère que le « h » ne s’entend pas, on aura, à l’oreille donc, un cas d’épenthèse humoristique avec « Lorsque je vois mam z’elle Lucie / Je m’é-honne de sa h-antaisi-e ». Dans L’Acte inconnu (p. 68), on ne se contente d’enlever une lettre à « pourcentage » puisqu’il devient « pourçage » (le mot, alors, évoquant des pourceaux qui seraient sages). Dans le cas du mot « orille » – véritable mot-fétiche de Novarina (avec « ut », « ouiceps », « bouif », « viande/vianderie », « trou comique », « itoine et isitoine ») –, on ne sait finalement plus si c’est le « e » de « oreille » qui a été ôté ou le « g » de « gorille » : cette confusion est sans doute voulue. Le mot « orille » semble accorder aux oreilles une sorte d’autonomie. On pense à des oreilles sauvages vivant dans la jungle, etc.

Sur ce modèle, on pourrait pour finir et si l’on n’avait pas peur du ridicule proposer à notre tour des jeux de mots d’inspiration novarinienne ; citons tout de même Pour vivre heureux vivons mâchés, On entre ici comme dans Jean Moulin et Attention à l’ouverture des mortes, qui s’inspirent un peu de l’humour noir dont sait faire preuve l’auteur. Mais essayons donc plutôt de poursuivre notre safari rhétorique en empruntant de nouvelles pistes de recherche…

Notes
62.

Etienne Rabaté, « Le nombre vain de Valère Novarina », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 48.