1.4. Allongements d’expressions

Il semblerait que le procédé accordéonique (voir ci-avant) ne concerne pas seulement les mots mais également des expressions comme « à hue et à dia » qui devient « à hue à dia à mia » (V.Q., p. 29). Il y a aussi des sortes d’à-peu-près ou de mélanges un peu absurdes de mots et d’expressions se ressemblant (ou pas) ; ainsi : « Je lui place les points sur les U, sans parenthèses et au temps voulu. » (A. V., p. 89), « De zig à dia à handicap hue à hie, j’courais nulle part » (V.Q., p. 58), « de-par-vous-parmi-nous » (O.R., p. 122), « et à l’inverse vice -versa » (J.S., p. 66).

A la page 203 de Je suis, on séparera « tohu » de « bohu » et les deux termes seront alors un peu utilisés comme « d’un coté » et « de l’autre » (voire « à hue » et « à dia ») : « Et ainsi mon cycle s’accélérait, chaque terre maintenant allant tohu et la suivante bohue plus bas » . Toujours dans Je suis, on pourra, deux pages plus loin, voir le mot autres/autrui(s) ramené à une indication spatiale, géographique (« ailleurs » étant absurdement allongé dans « chez des ailleurs », un peu comme si les « ailleurs » était un groupe humain, une sorte de famille) : « Qu’il aille […] chez des ailleurs que nous ».

Enfin, quitte à déplaire aux admirateurs de l’empereur romain, Novarina déprécie la célèbre phrase de César, « Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu », qu’il allonge pour en faire (in Je suis) « J’ai rien voulu ; j’ai rien vu, j’ai rien pu, j’ai rien fus, j’ai rien étus ». A contrario, on disait dans Le Drame de la vie (p. 243) « j’ai tout vu, j’ai tout viandu », façon novarinienne de dire « j’ai tout vu, tout lu, tout bu ».

L’expression » rester en carafe » (O.R., p. 176) est décomposée comme suit : « on reste là ! Ah ! la carafe » ; de même, "par devers soi" s’allonge et se complique dans « que ne le gardez-vous de-par-vous-parmi-vous à double tour » (O.R., p. 122). On multipliera les cuillères à pot (alors que deux suffisaient dans l’expression originale) pour expliquer les règles d’un jeu mystérieux que l’on « [joue] en 4 : avec des coups de 4 cuillers à pot » (O.I., p. 29) et dans L’Acte inconnu (p. 50), on allonge "la coupe est pleine" en « La coupe du temps est pleine » (p. 48) ; si elle ne l’est pas, il faut attendre qu’elle le soit puis « [la boire] sans tarder » (p. 50) : cette coupe espérée étant peut-être le Graal du Temps.

L’allongement, nous y reviendrons, n’est bien sûr pas la seule modalité de transformation : les deux mots d’une expression pourront être intervertis : « en perte pure » (J.S., p. 62) ; parfois, un mot est ajouté, qui change le sens d’une expression, qui en devient absurde (« se regarder dans de la glace ») ; parfois, c’est une lettre : « Si vous en avalez la peine » ; parfois c’est une syllabe ou un ajout comme « al » dans les « abalus de riens bocaux » (S., p. 148), les abus (de biens sociaux) donnant ici des hallus – de même, c’est plutôt l’ « abondance de seins » (A.V., p. 24) qui ne nuit pas, etc., etc.