1.6. Jeux de mots en tous genres

Dans Le Babil des classes dangereuses, pour commencer, on lance à l’un des plus prestigieux chevaliers de la Table ronde un singulier défi que même l’Hercule aux dix travaux n’aurait pu relever : « Lancelot, qu’elle dit – Aspire franchement toute l’eau des lacs » (p. 167). Dans « Loch de Poche de Loque Percée » (in D.A.), on retrouve peut-être d’écossaises (cf. « Loch », comme « Loch Ness ») poches percées.

On se fera swiftien dans le rapprochement « tasse » / » précipice », l’affirmation « Une tasse est un précipice » (C.H., p. 343) renvoyant à l’impression de disproportion de vocabulaire que peut éventuellement donner aussi l’image quénienne de « paroi d’une tasse à café » – les mots « paroi » (cf. rocheuse) et surtout « précipice » s’appliquant peut-être plus naturellement à des falaises qu’à des récipients de ce type (mais la chose est discutable). Dans « La tasse est pleine », on n’accepte pas de dire que c’est la coupe qui est pleine car ce serait un lieu commun, le jeu de mot permettant de faire dérailler le train-train langagier.

Pêle-mêle, notons des jeux de mots de facture plutôt classique comme « Si tu le mets sous cloche, on ne l’entendra plus sonner » ou encore « Siège de ma pensée, est-ce sur toi que ma pensée est assise » (O.R., p. 108) ; dans « C’est une lune », on a une réduction peu flatteuse d’une expression qui ne l’était déjà guère. Dans L’Opérette imaginaire (p. 109), on verra « verre à dents » dans « père Adam », le dentier étant l’avenir de l’homme ou en tout cas une étape notable avant les vers et les pissenlits. A la page 29, on inventera la notion de « pied terrien » (cf. « Depuis que j’ai pied sur terre, j’m’prends la vie dans son plancher ! ») et à la page 119, on aura une liste de titres comportant des jeux de mots comme « Chanson des fenêtres ouvertes, par un oublieux », « Chanson du silence, tue par tout le monde », « Chanson suicidons, chantée à la corde » et « Chanson à r’chutes, par un récidiviste ».

Dans L’Origine rouge (p. 137), on apprendra que « la cité des tulipes vient d’élire sa rosière » et on évoquera une méprise (qui n’en est peut-être pas une) dans « j’ai pris par la anse le bon docteur Panier » (p. 24). Dans « [les] saint-bernard de l’asphalte paient de leur poche vos tonneaux » (p. 77), la « poche » permet peut-être d’évoquer la vie de sauveteurs (cf. « saint-bernard ») officiant sur des routes (cf. « asphalte ») où l’alcool (cf. « tonneaux ») fait des victimes (« tonneaux » étant aussi synonyme de virages mal négociés et de chutes dans un ravin). La réaction face au malheur pourra surprendre : « Témoin de l’explosion, un rescapé saute de joie » (p. 137).

A la page 107 de La Scène , on tournera humoristiquement autour de champs lexicaux concernant le pied (cf. « tourné mes mollets sur les talons », « chaussé le bas de ma chaussure aux pieds de ma cheville »). Ailleurs, on parlera de « déconfiture de fruits », de « fruits inespérés », d’ » arbre sec » et de « coupe trop pleine » (sans doute de fruits), de « pomme de discorde », de « couper la poire en deux » et, pour finir, de « poser […] la cerise sur le gâteau », ceci dans le cadre d’une série de métaphores surréalistement associées : on profite de la « pomme de discorde pour couper la poire en deux », etc. A la page 140, on décrira la « machine à descendre à la cave » comme « [donnant] de l’eau au moulin », encore un cas bizarre d’expressions rapprochées.

Quant à la « vieille viande humaine pleine de Noms », elle se trouve dans un  « frigo [ouvrant] sur la vie éternelle » (S., p. 29), ce "recueil réceptaculaire" inattendu étant peut-être une métaphore pour la Bible aux mille généalogies. Après les belles métaphores filées de Trinité (« Je fais mes actions une par une et je les range par ordre alphabétique, puis je les agis d’A à Z ; puis je défais mes actes, d’oméga à alpha : ainsi tissais-je à l’envers l’écheveau mal cousu de ma vie déconstruite. »), Isaïe Animal oppose : « Tu files un mauvais coton. » (p. 161). Dans L’Acte inconnu, on retravaille l’expression « Pour tout potage » (qu’on trouve chez Rabelais et chez Queneau) en opérant un renversement débouchant sur « Pour toute ma soupe j’ai du potage-e » (p. 41). Enfin, il arrive, mais nous y reviendrons, que des mots, associés, donnent lieu à des expressions incongrues comme « ruisselante de ruse », « Eteignez les témoins ! », etc.