Là encore, la correspondance est possible avec Raymond Queneau qui, dans Sally Mara notamment, s’amusait à brouiller les cartes au niveau des sexes. Dans La Lutte des morts par exemple, certaines de nos habitudes langagières se trouveront contrariées ; on a ci-avant évoqué « la spirme », mais il conviendrait d’ajouter « l’fémelon » (p. 440), « C’est un coquille, une coquillage » (p. 419), « Jacte à son poche » (p. 497) ou « Montre ton jupe » (p. 427). Dans Le Drame de la vie, signalons : « mon fèce » (p. 184) et dans Le Jardin de reconnaissance : « ton vie » (p. 36), qui confond vie et vit. Autre cas troublant : la féminisation du mot cadavre comme « la cadavre de ma mère » (A.I., p. 134)
Dans Le Discours aux animaux, il y a, là encore, comme une indécision entre principe mâle et principe femelle puisque les mâles y sont des « mêles » et les femelles des « femâlles », genres étrangement associés dans le mot composé « mêles-femâlles » (le trait d’union ajoutant à la confusion). On tombera également sur des expressions comme « sa compère » (D.A., p. 273) et « Henriette son père » (D.A., p. 273) et l’indécision se retrouvera de façon éclatante dans La Chair de l’homme, où l’on dira « ils-ou-elles » (p. 245) et où l’on retravaillera, à la page 461, le grossier « si ma tante en avait », la confusion s’appliquant aussi aux liens de parenté : « Mon oncle dit à ma tante : ‘Dis, es-tu ma mère ou ma sœur ? – Je ne suis pas ta mère, je suis ta sœur. – Où est ma mère ?’» (« ‘Tu es ma mère’ répondit-elle »).
Analysant Le Discours aux animaux, Nicolas Tremblay64 voit un « nom miroir et hermaphrodite » et renvoyant à une forme de « négation structurelle » dans « Henry Henriette » et, de fait, les structures sexuelles et langagières sont comiquement mises à mal par l’auteur du Discours qui en touchant à la langue, va peut-être plus loin : c’est que nous sommes concernés, englobés par la modification/mutation ici subie par tous ces mots (prénoms par exemple) qui nous désignent depuis si longtemps en nous sommant d’être ceci ou cela : ne seraient-ils point caducs, ces mots ? Ont-ils encore un sens ? A quoi correspondent-ils ? Autant de questions que semble se poser l’auteur menant sur le sujet une sorte de réflexion sur le sexe rejoignant par moments celle, plus dure et plus austère, d’un Pierre Guyotat (écrivain qu’il respecte et apprécie).
Dans Le Drame de la vie, c’est un peu le même cas de figure avec des clivages inédits comme « Mille » / « femelle » (p. 289), « hommes » / « homesses » (p. 84) et surtout « masculienne » / « féminide » (p. 73). On croisera aussi dans Le Jardin de reconnaissance (p. 41), outre « Adame » (mais c’est peut-être « lui-elle ») un « homme qui est en réalité cette femme » (mais qui « n’est plus en réalité l’inverse de celui à qui elle pensait parler ») et dans La Scène (pp. 100-101) la « docteure double you C. Dupont », le « sage-homme Norbert Folque », le « strip-teaseur Jean-Bernard Moutardier », le « père porteur Bénédict Bondel » et la « kinésithérapeutesse Aspasie Dumont ».
Sans qu’il y ait derrière tout ceci (c’est plus profond que cela) une réelle dimension de revendication politique (concernant la féminisation des noms de métiers par exemple), cette indécision langagière et sexuelle, souvent comique, va dans le sens du projet novarinien qui semble être de nous désorienter par tous les moyens possibles et imaginables (sans doute pour que soit complète l’«alerte dans les zones de Broca ») mais contrepets et anagrammes pourront encore y parvenir.
Nicolas Tremblay, « Des morts à l’origine », La bouche théâtrale, op. cit., p. 133.