1.7.2. Contrepets et parapèteries

Le procédé du contrepet semble quasiment permettre la création de nouveaux personnages comme « L’Homme de Saple » et le « Capitaine des Beaux » (D.V., p. 216) - le Garde des Sceaux étant entre-temps devenu Capitaine et affecté aux « Peaux » (sic). Autre « contrepet penaud » (l’expression n’est pas de nous) débouchant sur un duo tout aussi improbable : celui du « nergent »/ « çapitaine » dans Falstafe (p. 593). Sur le même principe, on obtiendra un nouvel objet : le « sablier du tapeur » (D.V., p. 190).

Dans « doure tujours » (L.M., p. 413), le contrepet se confond avec la faute de prononciation ; et dans « Il entra et sorta, il entrit et sortit » (D.V., p. 156), on est en présence d’une phrase qui fait se croiser formes correctes (entra/sortit) et formes fautives (sorta/entrit). Dans Le Babil des classes dangereuses, le contrepet se fera rabelaisien : « S’il vous plaît, la rue du quai ? ». Dans La Chair de l’homme, on part des mots « modistes » et « tourneur », on permute les syllabes en oubliant le « d » et cela donne un nouveau métier : « moteur-tourniste » (p. 307).

Il nous faut encore citer d’autres permutations/renversements à rapprocher (dans le principe) du chiasme et/ou du contrepet : outre le cas d’» un coquille » / « une coquillage » évoqué précédemment, on aura en effet « vient-et-va » (D.A., p. 278), « voir les bouts » / « mettre les trous » (D.A., p. 125), « mastéroïdes » / « arsupiaux » (D.A., p. 137), « platitudes lates » / « latitudes peu » (D.A., p. 254), « Claudeville » / « Villeclaude » (V.Q., p. 43), « L’espace est lourde / Lourde est l’espace » (O.I., p. 15), « gens à visages » / « visages à gens » (R., p. 103), « Oui oui très certainement » / « Très certainement oui » (A.I., p. 59) ou « Qu’est-ce que tu marches pendant que tu penses ? (A I., p. 50).

En plus des contrepets, on rencontre aussi des formulations aberrantes où l’intention de l’auteur est manifestement de tout mettre sens dessus dessous comme dans le rythmé « Ciel sur mes pas, terre sous ma tête, retournez d’où vous êtes » (D.A., p. 315) et le sens commun sera encore pris à contre-pied dans des phrases comme « La mort n’est pas vraie », « Tout est faux », « il n’y a pas de sol sous nos pieds », etc.

Cas de figure plus proche du contrepet : les fameuses et légendaires « fourmis dans les jambes » deviendront improprement des « jambes de fourmis » (D.A., p. 249) et l’amour, qu’on dit parfois aveugle, est ici dit « voyant » (O.I., p. 169). De même « quel chaos ! quels tournants ! » se redit en « quels tourments ! quel chaos ! » (O.I., p. 113), jeu de permutation concernant cette fois pluriel et singulier – même jeu dans « Bonshommes suffit » / « Bonhomme suffisent » (O.I., p. 145). Sur ce modèle, on aura dans L’Origine rouge (p. 177)  « soixante fois » / « foixante-soi » (puis « goissante fois ») tandis que « puissance » est remplacé par « fuissance » mais surtout par « suipanse » où l’on retrouve « panse », « suite » et « suspense ».

Il y a aussi de troublants effets de symétrie comme dans « Au rendez-vous des sentiments humains » / « Au forum des opinions animales » (O.R., p. 68). En somme et pour citer Le Jardin de reconnaissance – qui s’apparenterait donc plutôt à un Jardin de perte de connaissance(s) voire à un Jardin de perdition, de détresse, de désorientation –, on a presque l’impression de se balader dans la « rue des écriteaux inversées » (p. 23), idée qu’on retrouve dans Le Discours aux animaux avec les inscriptions désorientatoires facétieusement commises par L’Ecolier Sacripant.

Dans L’Opérette imaginaires, une contrepèterie est signalée (par Gaëtan) dans « Eric, il faut un calme et bon caviste pour eux sept » que « [glisse] l’adjudant Robillard » à la page 158 (mais, avouons-le, nous planchons toujours dessus sans trouver l’astuce, « palmé con papiste » ne fonctionnant pas vraiment) et on en pressent d’autres dans « L’amateur de nô habite à Mezières-sur-Couesnon » et « L’inceste à l’alpage laisse Colombine perplexe » qui viennent juste après ; cela fait encore partie des jeux un peu oulipiens que nous propose parfois l’auteur, l’amusant étant qu’ici (jusqu’à preuve du contraire), il n’y a pas de contrepèterie – mais c’est peut-être que nous sommes en présence de « parapèteries » du type de celles (« Pour attirer les amateurs, le libraire leur montra son Pline », « Messaline se fit mettre un col de loutre sur la nuque ») imaginées par François Caradec65.

Notes
65.

Oulipo, Pièces détachées, Entrées « Parapèteries », Mille et une nuits, Turin, 2007.