Le redoublement ne se contentera d’être incongru ; pourra venir s’y nicher l’idée d’une « douleur de souffrance » (J. R., p. 81), une sorte d’impuissance, une impression de fatalité : « leurs mémoires s’en souviendront sans se remémorer » : ici, le doublement se fait presque triplement puisque les notions très proches de souvenir et de mémoire se retrouvent exprimées à trois reprises dans une seule et même phrase, d’ailleurs relativement courte. Pourtant, le triplement est encore plus évident dans : « Finie la finale : je voudrais manger maintenant de la mangeade de mangeade » (O.I., p. 66). Autres cas tout aussi amusants : « ‘Poursuivez’ continua Constance » (O.I., p. 148) et « Quand le passant en passe-montagne eut achevé la traversée […] » (D.V., p. 112)
On note même trois « quadruplements » : « jamais je n’ai pu parvenir à réussir à obtenir à arriver à toucher » (in D.A.) et à la rigueur « je ne peux plus supporter de me porter. Je ne peux plus supporter ma portée » (O.I., p. 29) mais aussi et surtout : « j’ai peur d’une sorte d’hallucination en hallucinante matière d’hallucinate d’hallucinat » (O.I., p.66). Enfin, on a encore le cas, dans La Scène (p. 148) des « représentants de l’Association Connivence », « accusés sous le quintuple bouloudouble triple chef de tergiversation consécutrice, apostasie et abalabus de riens bocaux ».
Concernant l’éventualité d’une filiation rhétorique au niveau de l’utilisation de ce procédé (à rapprocher du mot-acordéon), il semblerait qu’il y en ait une : avec Rabelais, tout d’abord, et, par exemple, son « moine moinant moiné » – voire, plus proche de nous, Gombrowicz avec l’équivalence française du « grand Hurleur [hurlant] ses hurleries »68– mais aussi et surtout Bruscambille, avec l’incipit hallucinant du Prologue sur un habit 69 « je désirerais, souhaiterais, voudrais, demanderais et requerrais désidérativement, souhaitativement, volontativement, demandativement et réquisativement avec mes désiratoires, souhaitatoires, volontatoires, demandatoires et réquisitatoires, que […] ») dans lequel les mêmes notions sont redites plusieurs fois. Enfin, n’oublions pas des formules bibliques comme « Ne jugez pas autrui : on vous jugera du jugement dont vous jugerez » qui, elles-aussi, ont sans doute influencé l’auteur.
Dans Le Jardin de reconnaissance, le doublement concerne les jambes mais comme en principe, celles-ci sont déjà deux, on va assister à une spectaculaire et surréaliste multiplication des « cannes » et autres « pattes des bons chanteurs » : « Nous levions nos jambes et nos janambes de jambages, reconsidérablement haut » (J.R., p. 22). Trois pages avant, cela jambait dur et gambadait déjà : « Nous devons unir encore nos quatre jambages à nos quatre jamabes à nos quatre jambues ou à bras pour voir ça. ». Puis, dans L’Opérette imaginaire (p. 66), ce sont les « iambes de iambusses » et autres « jambes de jambusseté » qui entreront dans la danse.
Witold Gombrowicz, Trans-Atlantique, repris dans la collection Quarto-Gallimard.
Farces du grand siècle. De Tabarin à Molière, entrée « Bruscambille », Le Livre de poche, Collection « Classiques », 1992.