Toutes les consonnes (et toutes les pièces) seront concernées par le procédé en question (en fait, tout l’alphabet est passé en revue) ; ainsi, le « v » de Valère et de Vévé se retrouve très souvent comme dans « avertit Valérie » (O.I., p. 148), « Réalisez le rêve de la réalité révélée : relevez-vous ! » (A.I., p. 73), « Vivication de la vie » (A.I., p. 56), « le vol vocasson de mes voxes » (B.C.D., p. 240), ou « Voici que la vie est arrivée comme une corvée à un vivant. « (J.S., p. 28) mais surtout à la page 19 de La Scène (même si là c’est le « V » et non le « v » qui sera concerné) avec, dans une seule et même phrase, « Ville », « Vendangeurs », « Vengerie », « Verseurs », « Visuels Vue et Vision », « Vite-Frères », « Voyageurs » et pour finir « Viande Vide », pointe novarinienne logique – peu après, c’est le « M » qui s’impose avec les mots « Madame » (huit fois), « Mon » (cinq fois), « Monsieur » (quatre fois) mais aussi « Merdélessieurs », « Mangier », « Maréchal », « Mélanie », « Maximin », « Ménandre » et « Militude ».
Passons arbitrairement au « s » avec « sale assassin assassinant » (B.CD., p. 245) et « Professeur Sifflet siffla » (J.S., p. 107), dernier exemple où la répétition concerne aussi le son « f » qui, comme le « s », revient trois fois en trois mots, un peu comme dans l’expression « Poussette en plastoque » (in O.R.) où il y a (en seulement deux mots) deux sons « s », deux sons « t » et deux sons « p ». Cet effet de double allitération surprenante, esthétique et rythmée (qui se retrouve un peu dans le nom de l’auteur) est un cas se retrouvant assez souvent – ceci dit, le son « s » se signale aussi dans « Sornettes chansons des sottes sornettes ! » (B.C.D., p. 288), « cessent ces scènes » (A.I., p. 47) et « Son sifflement sifflé » (A.I., p. 82)
Pour le son « gueu », il sera présent dans le rapprochement incongru contenu dans « guise de gigue » (in J.S.) et on aura noté d’autres rapprochements de ce type dans Le Discours aux animaux avec «plinthe, peinte » (p. 217), « Trompes des troupes » (p. 194) et « délaissés, délacés » (p. 186) ou encore et pour citer d’autres pièces : « oppression d’impression d’expression » (D.V., p. 291), « posté portier » (V.Q., p. 40), « Poitou de Poitiers » (A.I., p. 45), « choses closes » (A.I., p. 160), « l’alliage du liège » (A.I., p. 35), « terre inerte » (A.I., p. 136), « Même chose/même dose » (J.S., p. 65), « meubles dans l’immeuble » (V.Q., p. 85) ou « mirons-nous au miroir de la mort » (A.I., p. 37).
Passons au son « asse » avec la question « Qu’est-ce qui se passe » à laquelle on répond : « C’est l’espace qui se déplace » (S., p. 109). Autre cas : celui des fins de mots similaires répétés plusieurs fois dans une même phrase comme « télévision », « action », « sermon » et « décision » (V.Q., p. 89).
Pour revenir au « f », citons « Mes femmes, sitôt flétries à peine fleuries, enfilaient des suites d’enfants perdants. » (V.Q., p. 72), « elle florit, […], fonce et transforme » (D.V., p. 276) et, dans La Scène (p. 74) : « je me fais fort de faire fi de vos affronts » et notons encore cette cocasse association f/ch de L’Atelier volant où l’on constate aussi comme une troncation (cf. fleur de l’âge) d’expression connue : « chien fauché dans la fleur » (p. 99).
Quant au son « ch » (ou plutôt « chan »), il revient dans « chanson d’chambre chantée » (O.I., p. 118) et Jean-François Perrin note, dans Le Monologue d’Adramelech, des allitérations croisées en « tranche/hoche/bouche/hochet » et « allez/parle » où il dit « [lire] volontiers une dissémination du EL et du ECH du nom d’AdramELeCH »70 Dans La Chair de l’homme (la série est reprise dans Le Repas, à la page 41) seront regroupés les mots « beauseigne, banaches, beluches, babets, barabans » - puis, suivant l’ordre alphabétique, on aura « cocumelle, coqueilles, couffle, cachon », puis encore du « b » avec « boulie, bleuge, bouchasses, boucherles, bouillou et bugne », « carabichons » contenant les deux lettres). Dans L’Acte inconnu (p. 36), le b est encore présent dans la liste « Bernay-en-Brie […] Barcelone, Brasilia, Babylone […], Brive, Brême, Bordeaux, Berne et Besançon » comme il l’était dans L’Atelier volant (p. 143), mais associé à « d », dans une série comme « Doube ! », « D’abus ! », « Debouts ! », « Débuts ! » « Debout ! ».
S’inspirant et s’amusant peut-être de ce goût novarinien pour les allitérations, Jean-Pierre Klein dira d’ailleurs dans « Valère Novarina n’est pas muet, il est muant »71 : « De la même façon, je dirai que sur la question de Dieu, Novarina est déant, déhissant, déhiscent, c’est-à-dire s’ouvrant de lui-même à la Divinité, aux Divinités » ; concernant ce même « d », on sait que la lettre fit problème (colère du père, etc.) à l’occasion d’une dictée, l’élève Valère se refusant à mettre une majuscule à Dieu (nous y reviendrons). Quant au son « ron », qui correspond ici (in O.R.) à la première personne du pluriel et au futur en « ons », il se retrouve dans des séries comme « pencherons, épandrons, répandrons, disperserons », exemple puisé parmi d’autres (de même, dans Le Babil des classes dangereuses, « babillez », « barbouillez », « bardez », « rebattez », « bribouillez », « balbouillez », « balboutiez », « grabouillez » et « gribouillez » étaient mis en présence à la page 298). Pour le « p », il concerne certes « plinthe, peinte » et « Poussette en plastoque » mais aussi des actions « [se répétant] partout à perpétuité » (D.V., p. 272) ; dans L’Atelier volant (pp. 69-70), on avait cette liste : « Beaucoup pouce, pied, poil, pioche, pivot, porc, pantalon, poutre, pigeon, passe-passe ».
On a encore le cas particulier de la lettre réécrite plusieurs fois mais qui, a priori, ne s’entend pas vraiment comme dans cette didascalie bizarre de La Lutte des morts : « La hante est à le heint du hin qui hie le hé » (p. 451). La répétition de lettres, il faut le redire, concernera à l’occasion l’association très rapprochée de mots se ressemblant vaguement tels que « renoncement » et « recommencement » à la page 19 du Jardin de reconnaissance ou « partout », « autour » et « pourtour » dans La Scène. Dans son article « Novarina l’Hilarotragédien »72, Alain Borer note dans Le Babil des classes dangereuses les « tours loupés du trou joufflu » où, commente-t-il, « l’on devine entourloupette » : à nous de procéder de même en imaginant ce que sous-entendent peut-être tous ces étranges jeux allitératifs. En tout cas, qu’il s’y prête le situe rhétoriquement : Yourcenar, Sartre et Sarraute n’auraient jamais eu de telles initiatives (mais pour Guyotat, Céline ou Queneau : peut-être que si) : s’ y prétant, il choisit son camp, privilégiant ouvertement le jeu et se détournant radicalement de la chose classique.
Jean-François Perrin, « Une voix en travail », La voix de Valère Novarina, op. cit., p. 92.
Pierre Klein, « Valère Novarina n’est pas muet, il est muant », La voix de Valère Novarina, op. cit., p. 205.
Alain Borer, « Novarina l’Hilarotragédien », Valère Novarina. Théâtres du verbe , op. cit., p. 70.