2.5.2. Le carnaval des assonances et des homéotéleutes

Les « tours loupés du trou joufflu » ne sont pas une exception car on retrouve le « ou » dans l’expression « tapajous joufflus de houblon » (L.M., p. 230) et dans l’exclamation «  A coup de couacs ! » (V.Q., p. 35) avec en prime un jeu d’allitération/assonance concernant aussi le « a » et le « c ». Dans un passage de L’Acte inconnu où sont moqués simplifications politiques et slogans creux, on aura : « Trou pour le mou. Bout pour le trou. Choux pour le doux. Je doute de tout » (p. 71) : ici, le « doux » est aussi un département, le Doubs, qu’il s’agit de séduire pour se faire élire en lui promettant des choux. On le voit : si l’assonance est parfois utilisée par certains mercenaires de la publicité, elle est essentiellement comique (et ici parodiquement) chez Valère Novarina.

C’est que les voyelles sont également concernées et c’est ainsi que la chanson du « bunhum nihil » de L’Origine rouge (p. 145) pourra être considérée comme une chanson en « u », initiative à rapprocher de la chanson truffée de « z » que Gainsbourg écrivit en hommage au père de Zazie – concernant le z, notons la phrase « Zoutre zozyme zoocide zodécupède zinzon zoolâtre » (C.H., p. 343). Pour le « u », il était déjà présent à la page 64 de Je suis avec la présence des verbes conjugués en « su », « vu », « pu », « dû », « salue » et « fus ». Mais passons sur le u qui fera, plus loin (dans « Grandiose et Saugrenu), l’objet d’un étude plus approfondie : la lettre en effet, parfois liée au v, concerne des mots revenant très souvent dans l’ensemble de l’œuvre (on pense en particulier à « ut », « Je suis », « Jésus », « DIEU/VIDE » et aux préfixes en « U » et en « Urlu ») ; or, les mots en question ont presque toujours une dimension sacrée – ce qu’il faudrait, c’est être capable (or, nous ne le sommes point) de mettre ceci en relation avec le statut exact qu’ont les lettres dans la Bible, le Coran ou le Zohar (travail qui, nous l’espérons, sera un jour accompli).

Quant à la fameuse « rime à Corbillon » (« comment le danse-t-on ? », etc.), elle sera activement cherchée à la page 175 du Drame de la vie, mais sous la forme d’assonances ; en six phrases, on aura en effet « longtemps, font, trompes, écusson, son, cataphon, on, fond, sont, garçon, tombe ». A la page 90 de L’Origine rouge, c’est le « o » qui, associé à « m » et à « r » sera mis à l’honneur : « mort à la Mort ! Dehors la mort […] tort à la mort ! ». Dans L’Opérette imaginaire, « or » sera omniprésent aux pages 139-140 : « corps, mort, adorer, adore, corps mort, mort, Mortel, mort, umort, ordonnée, mort, porte », possible clin d’œil indirect à Louis de Funès et à la fameuse « scène du reveil »(in La Folie des grandeurs : « Il est l’or, monseignor », etc.). Pourtant, précisons-le : « or » (idem pour « chan », « asse » et « ron ») n’est ni une assonance ni une allitération mais plutôt  un cas d’homéotéleute - Queneau, jouant avec » ul », en fit même un exercice de style (« Un jour de canicule sur un véhicule où je circule, gesticule un funambule au bulbe minuscule à la mandibule en virgule et au capitule ridicule », etc.).

Dans un début de phrase du Jardin de reconnaissance (p. 47), autre cas à signaler, on retrouvera « oi » dans « Quoi », « poids » et « moi » (cf: « Objet vidé du Quoi, matière vide d’un poids, terre sans moi ») et ailleurs : « Où est ce quoi ? Qui est-cet endroit ? » Dans L’Acte inconnu, on parlera de « lois en bois d’moi » et « en quoi » (p. 98). Ces jeux, fréquents, autour de « oi » et de « quoi » trouvent leur origine dans L’Atelier volant : « Coin jailli, touchez le quoi ! […] Roi, entrez, cornez mon coin » (p. 91).

Quant à « e », le son concerne des jeux, fréquents aussi (voir O.I., p. 64, par exemple), où l’on tournera autour de « Dieu », de « deux », de « cieux », de « vieux », de « yeux » et/ou de « lieu » - c’est que dans les « vieux cieux » se cache un « dieu vieux » – quant à « je », s’il n’a « plus de lieu », c’est parce qu’il « n’est plus deux » mais il lui reste ses « yeux deux » (C.H., p. 132), pour « loucher » et pour pleurer. Pour passer à « i », il y en a phonétiquement « six » en cinq mots à la page 78 de Vous qui habitez le temps (ce qui est un véritable exploit) : « Ici, à Issy, à Ivry ». Dans Le Babil des classes dangereuses (p. 214) se constitue même toute une généalogie biblique à partir de la lettre I et on rejoue avec le i à la page 201 (« Non, Hirque, pas Hilque, pas Himque ») et à la page 206 (« Hile, Hire, Hime, Hirque, Irq »).

Dans le cadre d’une longue liste s’apparentant à une tentative d’épuisement et figurant dans Le Discours des animaux (de la page 242 à 247), on assiste à un festival de préfixes fixant une limite, indiquant une impossibilité et/ou indiquant un manque (ou plutôt un « minque ») voire un défaut : « in » et « im » sont en effet ultra-représentés (surtout au début de la liste) même si « irr » tire assez bien son épingle du jeu (tandis que les préfixes en « il », « inl » et « ill » sont beaucoup plus rares). Lire une liste de cette sorte, c’est comme assister à une course de lettres et d’homéotéleutes (à moins qu’il ne s’agisse d’une lutte de mots) : qui a gagné, de « in » ou de « im » ? Quid de l’outsider et des lanternes rouges ? Qu’a-t-on in fine préféré ? Quel fut le choix de la Seule à Cédille ? Telles sont les questions patasportives qu’on peut éventuellement se poser en lisant ce type de texte.

En fait, si l’on se contente de lire nos remarques (et celle d’Alain Borer) concernant ce procédé-là, on pourrait presque croire que Novarina (nous faisons notamment allusion aux Revenentes, de Perec) a un fonctionnement oulipien. Or, et même si cela peut paraître incroyable, il n’est pas certain que toutes ces répétitions cocasses (allitérations, homéothéleutes et redoublements relevant du pléonasme) soient voulues ; cela, en effet, vient peut-être sous la plume mais encore faut-il avoir l’idée, la présence d’esprit (et le talent) de laisser les choses en l’état car c’est surtout sous le rapport du rythme que sont novariniennement intéressantes assonances et allitérations.