3. Métaphores, paradoxes et autres bizarreries

3.1. L’Union des contraires

N’oublions pas le nom de la compagnie de Novarina : « L’Union des contraires » ; c’est dire l’importance qu’il accorde à la chose. Assez logiquement, il excelle dans l’oxymore – et même, à l’occasion, dans l’oxymot, comme dans « Saperme » (Sapin +sperme). Signalons ici les plus spectaculaires ; tout d’abord, il y a des personnages paradoxaux comme « L’Acteur fuyant autrui »,  le « nain Gigant » et « saint Félon » (D.V., p. 226) ou encore une science de non-science, la « science d’ignorance » (P.M., p. 23) qui est un non-sens plein de sens, un peu comme « cure d’idiotie ». On invente par ailleurs un supplice, a priori assez supportable, qui consiste à être « lapidé de plumes » mais aussi un « écartèlement comique » (P.M., p. 59) et des « coups caressants » (O.R., p. 115).

Aussi bien, on évoquera un « glas joyeux », des « cancres logiques », une « sainteté du clown », des « langues mutiques » (V.Q., p. 89), etc. De même, on croisera des êtres ambigus comme « Marie Garçon » (V.Q., p. 74) et « mon oncle Nicole » (A.D., p. 40). Il y a encore des « petits vétérans », des « papiers en plastique » (J.S., p. 120), etc. Enfin et dans un même ordre d’idée, une injonction abrupte comme « Chantez Couac ! » (V.Q., p. 80) relève encore de l’oxymore tant il est vrai que, lorsqu’on chante, on essaie plutôt, en règle générale, d’éviter les couacs.

Mais procédons avec plus de méthode en partant des pièces du début : dans L’Atelier volant (titre quasi-oxymorique), on parlera de « loups domestiques » (p. 136) et des « Contemporains de l’avenir » (p. 168). Dans La Lutte des morts, on parlera de la possible « guérison des morts » (p. 426) et on fera un « Sermon Mutique » ; dans l’univers noir, morbide et inquiétant qui nous est décrit, « Quelle belle poule morte tu sens !» (L.M. ; p. 471) est un compliment formidable – et la phrase plairait beaucoup à Tim Burton. On parlera encore de la « bonne souffrance » (L.M., p. 492), expression rappelant la proverbiale bonne fatigue.

Dans Le Babil des classes dangereuses, on mettra plus ou moins en présence le satin et le sapin (p. 281), on pratiquera une « danse assise » (p. 284) et on parlera du « silence éternel de son p’tit cul » (p. 304), rapprochement comique car « p’tit cul » et « silence éternel » ne font pas vraiment partie d’un même registre de langue. Dans Le Discours aux animaux, on croisera des « jeunes vieux » (p. 114) et on regrettera le « bon vieux temps » (p. 251) en se disant « quand j’étais vieux ». Bref, on perd la notion du temps qui passe ; on parlera même de « cet après-midi matin » (p. 17) et on tiendra aussi, ce qui va dans le même sens, des propos complètement contradictoires : « J’ai un très grand amour pour tout mais j’ai toujours très cordialement détesté tout » (p. 105). L’action (?) du Discours aux animaux se passant en partie dans une forêt, on se dit que c’est peut-être la folie amère et parfois furieuse d’un misérable « fou trompé des bois » (Merlin ?) qui est à l’œuvre ici.