3.4. Au zeugme, citoyen !

Le titre de cette sous-partie paraîtra peut-être iconoclaste mais n’oublions que notre but est aussi d’essayer de nous mettre un peu au diapason de l’humour souvent potache de Valère Novarina qui, comme on le verra plus loin, s’amusera, tel Gainsbourg ou Beckett (« aux fourches, spermatozoïde ») à parodier la Marseillaise. On recense donc quelques cas de zeugmes, notamment dans L’Origine rouge et La Scène, le plus spectaculaire étant peut-être : « Je ressens […] au pied et au passé une douleur dont j’ignore la cause tant j’y souffre » (O.R., p. 66), ce qui semble indiquer que le passé est comme un boulet qu’on porterait au pied : dans cette image, l’homme se voit indirectement assimilé à un bagnard souffrant de trainer comme un damné ce triste boulet qu’est le passé : entre les mauvais souvenirs et la conscience de cette mort qui le fait blémir (cf. fin du Jardin de reconnaissance), Adam n’est donc peut-être pas l’animal le plus chanceux – c’est ce que cela semble sous-entendre.

Dans L’Origine rouge, on aura aussi « Apportez-moi un jardin, de l’eau fraîche et une corbeille de fruits et de quoi me laver les mains » (p. 117), ce qui rappelle une liste à la Prévert tournant court ; c’est que les zeugmes novariniens ne concernent pas toujours deux termes, l’effet zeugmique, ayant parfois à voir avec l’art subtil de la pointe. A la page 59 de La Scène, on passe sans transition du travail du bois à celui du foie et, au niveau de l’effet produit, le procédé se situe à l’intersection du zeugme et du coq à l’âne. A la page 42, espace et temps sont associés cavalièrement dans « Ca fait maintenant une heure et huit kilomètres que je vous vends cet objet cent écus. » Enfin, à la page 89, sans doute pour dire que c’est vraiment « la fin de tout », on retravaille « C’est la fin des haricots », pour dire « C’est la fin des hommes, des vivants, des cailloux et des haricots ». Pourtant, le zeugme est un procédé moins fréquent que le coq à l’âne, que l’auteur semble pratiquer volontiers, à l’instar de certains poètes de la vivacité comme Max Jacob ou Benjamin Péret.