Ici, il ne s’agit pas pour nous de cuistrer, comme dirait peut-être l’auteur, mais d’indiquer une filiation surréaliste possible ; on a même pu dire que Novarina était celui qui avait « dompté Dada » – en tout cas, dans « La perruche gît morte dans sa cage rouillée » (et dans « L’enfant armé repose debout dans la boîte argentée »), on retrouve un peu « Le kaolin fourmille dans sa boîte crânienne », phrase de Tzara retenue par Eluard dans son Dictionnaire abrégé du surréalisme. L’autre point de comparaison, ce sont les thèmes abordés (même si le traitement diffère) : « l’amour fou », l’instabilité, le monde des rêves, celui des couleurs, celui des « choses vivantes », etc. Se prononçant sur la question d’une possible filiation, l’auteur de La Littérature sans estomac propose cependant ce développement :
‘ On pourrait être tenté de rattacher les textes de Novarina au surréalisme. Pourtant, l’effet d’évidence et de familiarité qu’ils produisent est plutôt l’apanage du réalisme […] Les thèmes, les images de ces pièces appartiennent à notre univers le plus quotidien, celui des super-marchés, du journal télévisé, de la maladie, des petits métiers, des voitures. 78 ’De même et comme le remarque encore Pierre Jourde, le récit de vie novarinien (ici efficacement résumé) frappe par son allure ordinaire : « j’ai habité ici, et puis là, j’ai eu un chien, j’ai mal, j’aime, je meurs » : c’est au fond et en effet cela que nous racontent les personnages lorsqu’ils se souviennent de leur passé – ce qui reste bizarre, c’est que parfois ils ont plusieurs passés.
Pourtant, l’autre vraie différence, c’est que sans évoquer les cas particuliers de Max Jacob (dans Le Cornet à dé, notamment), de certains futuristes ou même de Cocteau (au statut très à part), les surréalistes se présentant comme tels ne se posaient pas forcément toujours la question du rythme et de la vitesse, ce qui n’est certainement pas le cas de l’inventeur de la logodynamique. Aussi bien, on pourrait le voir comme une sorte de lettriste et de poète phonétique mais qui serait resté très sensible à la tradition sous toutes les formes (théâtrale, biblique, circassienne, shakespearienne, etc.) qu’elle peut revêtir – ce qu’Isou, par l’anarchie quasiment absolue qu’il professait, n’était pas forcément. Le côté savant fou voire savant fou furieux d’Isidore Isou se retrouve cependant un peu chez Valère Novarina et il semblerait même que le caractère tout à la fois hermétique et glossolalique de certaines expériences lettristes rejoignent par moments l’art de celui qui écrivit La Lutte des morts et Le Babil des classes dangereuses.
Comme chez les surréalistes ou le premier Tzara (voire Isidore Isou), c’est l’effet de surprise lié à l’incongruité qui peut permettre, amener, susciter le rire ; c’est ainsi que l’idée farfelue d’un liquide qui serait pileux (cf. la « soupe à poil jaune » in V.Q. ; p. 92) nous évoque irrésistiblement les images bizarres que l’on trouve souvent dans les cadavres exquis, exercice ou, par définition, l’effet de coq à l’âne est roi. Une autre filiation reste à évoquer : c’est celle du futurisme russe auquel se réfère Novarina et qu’évoque Christine Ramat79à travers les « transcriptions des chants d’oiseaux de Khlebnikov » dont parle Christian Prigent dans La Langue et les monstres, Cadex, 1989, p. 17 et dans Ceux qui merdrent (POL, 1991, p. 35), ouvrages auxquels nous renvoyons.
Pourtant et même si, comme il le dit, Novarina a pris beaucoup de recul par rapport à cet artiste (qu’il approcha notamment à travers un travail universitaire), la grande référence reste peut-être Artaud : pas forcément sur un plan artistique mais plutôt sur un plan théorique. De fait quand ce dernier disait dans une conférence intitulée Surréalisme et révolution (in Messages révolutionnaires) » L’Illogique est le secret d’un ordre où s’exprime un secret de vie », il ne savait pas que le flambeau de l’Illogique serait, en ce début de XXIème siècle repris par un certain Valère Novarina, auteur dont l’œuvre apparemment désordonnée se présente finalement comme un coffre-fort renfermant peut-être, en effet, le « secret d’un ordre où s’exprime un secret de vie » – - un secret sans doute lié au corps, au mouvement et à la danse (un peu comme dans le théâtre balinais analysé dans Le Théâtre et son double). Dans « Le dernier des romantiques »80, Jean-Marie Thomasseau propose encore une autre piste et évoque l’influence de Gérard de Nerval qu’il présente comme un des maîtres d’une véritable « école frénétique, dont les héritiers seront Rimbaud, les Surréalistes et Antonin Artaud ».
Pierre Jourde, La littérature sans estomac, op. cit., p. 267.
Christine Ramat, Valère Novarina. La comédie du verbe, op. cit., p. 212.
Jean-Marie Thomasseau, « Le dernier des romantiques », La bouche théâtrale, op. cit., p. 175.