3.6. Une écriture décidément déroutante

3.6.1. Effets de construction incongrue

Un autre type de formulation doit être ici mentionné ; c’est, par exemple : « ma mère avait été placée seize ans après sa naissance […] dedans une bonne » (V. Q., p. 66). L’effet obtenu (cf. « dedans une bonne » pour « chez une bonne ») n’est pas juste saisissant : il a aussi quelque chose de grotesque et monstrueux. Très difficile à analyser, cet effet se retrouve un peu dans certains quatrains de cette chanson du Discours aux animaux (reprise à la page 40 de L’Animal du temps):

‘Va-t’en chercher du beurre pour ta mère
Qui est malade dans ce tout petit pot […]
Quand je revins ma mère était repue
Et tout le monde commençait à s’asseoir
Nous mangeâmes l’oie avec de la morue
En compagnie qu’était bouillie du soir. ’

A quoi s’appliquent les termes ? Ce n’est pas si évident, a priori. Ainsi, à la première lecture, on pourrait presque croire que ce n’est pas le beurre mais la mère, malade, qui est dans un petit pot. L’absence de ponctuation pourra aussi jouer un rôle dans ce type de confusion aux effets parfois comiques et parfois légèrement inquiétants, mettant un peu mal à l’aise mais sans qu’on sache dire pourquoi. C’est que, quoique comique, l’horreur (et ici, peut-être : « l’ogrerie ») n’est jamais très loin : ne serait-ce donc pas la compagnie qu’on s’apprête à consommer sous la forme d’une bouillie ?

Toujours dans Le Discours aux animaux, ce qui tombe du ciel, ce n’est ni de la pluie ni de la grêle, ni de la neige ni de la manne mais des oiseaux : « Il tombe maintenant des oiseaux » (p. 179), ce qui est peut-être une métaphore – mais de quoi ? Pour décrire une journée rendue maussade par des conditions météorologiques particulièrement désastreuses, on dira « un vrai temps de chien flottait partout » (p. 127), ce qui rend beaucoup plus spectaculaire "Il fait un temps de chien". On se dira également « Affamés de la soif » (p. 209) et c’est peut-être en trouvant « porte coite » (p. 63) qu’on se mettra à pousser des « soupirs violets » (p. 80). Pour remédier à tout ceci (la dépression pointant), on consultera : « Le docteur me dicta du sodium » (p. 288) – mais le verbe « prescrire » était peut-être plus approprié. Autres exemples significatifs toujours puisés dans Le Discours aux animaux : « vivre dans les erreurs » (p. 173) au lieu de « vivre dans l’erreur » et surtout » coucher chez les poireaux » (p. 173). Dans Vous qui habitez le temps, on racontera : « Un jour, dans de l’orchestre […], j’ai cru voir […] » (p. 81), etc.