3.6.2. Mystère et boule de gomme 

Sans que la construction soit vraiment incorrecte ou incongrue, certains effets relèvent peut-être juste d’une métaphorisation bizarre, mais dont on ne trouve pas forcément l’équivalent chez les surréalistes ; dans Je suis par exemple (p. 78), on prétendra « [entendre] en buée [sa] figure respirer ». Dans Le Jardin de reconnaissance, cela s’emballe : si « [éplucher] une cerise » (p. 39) est une procédure peu commune mais restant possible, on plaindra la « matière humaine » qu’on sait « soumise au temps saigné » (p. 95), on projette d’«[aller] en cerveau » (p. 32) et de «[commettre son] repentir » (p. 78), on parlera de « torrent roulant silence » (p. 38) et d’«eau de la même farine » (p. 62) pendant qu’un écriteau « pense qu’il dort » (p. 30), sans doute un cousin éloigné de Monsieur Tiroir et du bon Docteur Panier. On aura aussi cette révélation (ce scoop voire) : « L’espace ne vibre pas : il siffle, il siffle, il siffle » (p. 28) : qu’est-ce à dire ?

Dans L’Origine rouge, on parlera d’une pluie qui « me tombe dedans » et non sur moi, comme dit la chanson – mais le fameux vers « il pleut dans mon cœur comme il pleut sur la ville » pourrait peut-être expliquer cette pluie du dedans. Il sera aussi question de recommencer une action « jusqu’à la trouer de peur » (O.R., p. 118) et on pourra «[mourir] d’commettre » (O.R., p. 195). Dans La Scène (p. 60), « Achète-toi un cerveau » semble retravaillé dans « Appelez-moi un cerveau » – mais l’enjeu est peut-être, pour donner un équivalent argotique, de contacter une tronche, Einstein ou autre. Dans L’Acte inconnu, on parle d’un « esprit » qui a « vécu chez Jean Poupard » (p. 98) ou du « chien qui passe » et à qui l’on « donne ce temps » (p. 152). La formulation bizarre et/ou impropre pourra même concerner des titres, L’Origine rouge et L’Espace furieux  ne voulant a priori strictement rien dire – mais c’est peut-être pour l’auteur une manière d’annoncer la couleur.

Signalons pour finir que certaines expressions vraiment étranges ont une explication, parfois donnée par Novarina lui-même (cela arrive). Pour « La lumière nuit » par exemple, il expliqua dans une conférence de présentation pour une installation plastique à laquelle Lydie Parisse assista (elle rapporte cette anecdote dans son ouvrage déjà cité, "La parole trouée " à la page 146), qu’il convenait à son avis de se méfier des lumières artificielles et qu’à la lampe il lui arrivait parfois de préférer la bougie… On le voit : l’approche novarinienne est décidément déroutante – et pourtant l’auteur reste cohérent car cette explication concrète et pragmatique nous paraît "raccord" avec une approche plus théologique : les lumières dont il s’agit de se méfier sont celles des villes (voire de Babylone) et plus vraiment celles du corps et de Dieu. De même, les néons qu’on voit clignoter dans les rues ne disent pas tous « Je suis » (boucotiques, ils nous disent plutôt Voici, entre, achète) : Novarina, a priori, préfère donc le feu et la lumière des bougies…