3.6.3. L’abrupt

Dans un même ordre d’idées certaines affirmations très catégoriques et très proches (en terme d’effet de saisissement) du paradoxe pourront encore nous surprendre et nous intriguer comme « L’homme est un loup pour la femme » (D.A., p. 58), « Le siège de ma pensée sont mes pieds » (O.R., p. 108), « Le langage français le dit : non est le nom. Même mouvement de nommer et de nier. » (P.M., p. 30), « Y a de plus en plus de passé » (O.I., p. 25) ou « La viande fut et sera. Mais la viande n’est pas. » (D.V., p. 41) – et rappelons encore « La mort n’est pas vraie », « l’enfance est une très mauvaise formation », « L’espace ne vibre pas : il siffle », et « L’organe de la parole, c’est la main ». Pour « Le rouge tombe » (dans Le repas, p. 135), il rappelle vaguement « Le rouge est mis », «  La nuit tombe » et peut-être même « La lumière nuit ».

Le côté abrupt se retrouve dans des pièces récentes telles que La Scène avec des affirmations comme « Le péché est à vapeur » (p. 58) et on a aussi un effet qu’on pourrait dire super-swiftien dans « L’univers est dans la poche » (p. 42) : si elle est vide, il y est seul mais y a-t-il dans l’univers une autre réalité que l’univers : si oui, il faut bien qu’il soit contenu dans quelque chose et Novarina choisit de dire que c’est une poche – ailleurs, il dira que c’est un sac, un U, un bidon ou un néon. De même, nous l’avons entendu dire dans une interview « L’espace est de biais » et dans des répliques brèves comme « Environ huit. » qui répond à « Je suis à combien ? » – de quoi ? (ou d’où ?) n’étant pas précisé (O.I., p. 95) –, on aura aussi l’impression de rester sur notre faim : de quoi s’agit-il vraiment ? Sans doute d’heures ou de kilomètres (un peu avant, il était question de la « route de Langres ») mais est-ce si sûr ?

Il y a pourtant de la logique dans l’illogique novarinien : si « les pièges de la pensée sont les trous dans le sol », c’est parce que les pieds sont « le siège de ma pensée » (O.R., p. 108) ; bref, il semblerait que dans la logique novarinienne, tout ait finalement une explication à peu près satisfaisante : il suffit pour cela d’entrer dans la logique du texte en le prenant pataphysiquement au sérieux, c’est à dire au pied de la lettre.

Là encore, surréalisme et goût relatif de la provoc’ (« Dieu est petit », « La mort est nulle », etc.) se mélangent assez subtilement, un peu comme chez Vialatte (« Le cheval est une espèce de homard »), Burroughs (« La vie est un cut-up ») ou Ginsberg déclamant iconoclastement « Le trou du cul est sacré » – ce côté péremptoire et fortement affirmatif (tant que cela prête presque à rire) s’est parfois retrouvé chez Marguerite Duras : « Tu n’as rien vu à Hiroshima », « Un livre, c’est la nuit », « Boire, c’est Dieu », « Vous tirerez avec moi sur les lépreuses de Shalimar », etc. Mais l’impression d’étrangeté produit par de tels effets ou aphorismes et autres paradoxes pourra aussi être obtenue par le procédé de la périphrase…