4.3.2. Le pantalon rouge

Malheur, désespoir et détresse sont aussi des thèmes du Babil des classes dangereuses, pièce où l’on « [flaire] pléricat » : on sait que ce qui nous attend au bout de cette « page à nager » qu’est la vie, c’est le « manteau de planches que nous taille le charpentier » (B.C.D., p. 275), cette évocation-rappel se retrouvant souvent dans les albums du Lucky Luke. Présente, comme on l’a vu, dans La Lutte des morts et L’Atelier volant, la boisson est encore évoquée dans Le Drame de la vie où « boire le vinaigre de l’esprit de vérité » (p. 236) est préconisé : même si la vérité est dure à avaler (« c’est pas mangeable » disait Céline), il vaut le coup de « boire la tasse ». Quant à "boire un pot", il devient « boire le pot de science » (p. 282) qui signifie peut-être « se consacrer à l’étude » de même que l’expression « être avide de monter dans la science » (p. 234), qui pourrait vouloir dire « être assoiffé du vin de la connaissance ». Pour « boire le bouillon de silence » (D.V., p. 282), cela signifie sans doute mourir voire, avec l’once de familiarité qu’il nous semble percevoir : casser sa pipe. C’est que, comme on l’a dit au début de cette sous-partie, la périphrase s’applique le plus souvent à des notions très générales comme la vie, la mort et le temps qui passe. Prenons quelques exemples et suggérons ces  équivalences, bien sûr très subjectives :

« Etre en viande » (D.V., p. 128) = vivre 
« Etre en pâte d’homme » (J.R., p. 47) = être un être humain 
« Entrée en macabiat » (D.V., p. 25) = mort, dégradation ou entropie
« Nous allons à Glas » (V. Q., p. 50) = « le ver est l’avenir de l’homme » 
« Etre empêché de faire ses actions » (D.V., p. 238) = ne pas vivre comme on le voudrait
« Trouver le souffle de se maintenir vivant » (D.V., p. 169) = trouver la force de continuer à vivre 
« Chanter un air trop long » (D.V., p. 229) = vieillir depuis trop longtemps et mettre du temps à mourir 

C’est le contexte souvent très noir qui nous fait proposer ces définitions – mais parfois, le sens des expressions est cousu de fil blanc et il n’y a pas vraiment de périphrases : quand on « [sort] avec le pantalon rouge » (D.V., p. 242), c’est qu’il est tâché de sang – là encore, c’est le contexte qui nous renseigne :

SERMON MUTIQUE. – Voyez garçons : cet homme finit avec la cervelle nettoyée par une balle
FACTEUR ACTION. – Par les Cinq Trous, retenez-vous ! Trois fois déjà ce cadavre a été profané !
L’HOMME EN PANTALON MORT. – Ils sortent avec le pantalon rouge […]

En ajoutant aux expressions précédentes « Avoir ses funèbres » (être en deuil, avoir des idées sombres ?), « Sur terre, j’ai fait la vie » (j’ai vécu ?) «  et « Convertir pour de bon quelqu’un en amant du néant » (tuer un individu ?), notons que certaines notions (contenues notamment dans « bouillon de silence », « macabiat », pléricat, « Glas », et « air trop long ») semblent relever d’une certaine morbidité sur laquelle il faudra revenir – pour « apprentir à pâtir », c’est peut-être moins une métaphore qu’une manière arbrutisante de dire le difficile apprentissage de la souffrance : c’est cela qui prédomine, la souffrance, la mort, le deuil, la fatalité.