4.4.3. Feu partout !

Dans L’Opérette imaginaire, les « trous des oreilles » sont d’un érotisme torride : on passerait son temps à regarder dedans (p. 121). Pour prouver son amour (in O.I., p. 118), on pourra faire le don de son estomac à son « aimée » pour « te le mélanger bientôt avec ton pancréas » (sic) : ici, le fantasme d’ » entrer dans autrui » va si loin que l’on ne peut que rire. On aura aussi à la page 19 une déclaration d’amour géométrique : « Mon cube est attiré profondément par vot’ sphéricité ».

Aux pages 135-136-137-138 de L’Opérette imaginaire, pièce décidément très coquine, on a même une sorte de montée orgasmique car quoique relativement décousus, les mots de la Dame autocéphale semblent tous aller dans le même sens : « ma chandelle, comme t’es belle ! feu partou-ou-ou-out ! […] flamme en haut ! grimpe au ciel ! va plus haut ! hisse flambeau ! » (p. 135) mais, à la page 136, on réalise qu’il s’agit surtout d’une extase mystique (la Dame autocéphale n’étant que le réceptacle/truchement d’un amour divin qui la dépasse et la submerge) : « feu partout ! j’te réclame ! tu m’enflammes ! Les portes les portes ! Suzanne ! Shoshane ! » (p. 136), les portes étant sans doute celles du paradis. A la page 138, c’est l’apothéose car la « rose mystique » se déploie et s’épanouit sous nos yeux (la transe restant pourtant comique jusqu’au bout) : 

‘[…] ciel ! ouv’ ta rose ! avalanche ! la neige vole ! en cadence ! dénouement ! tourbillons ! feu partout ! en partance ! sang d’agnelle ! respiral ! voix lactée ! tohu-bohuuuuuva-bohohohuhohouu hoû-oû-ou ! ’

Notons que l’expression ambiguë « Feu partout ! » est aussi un leitmotiv chez Offenbach, dans La vie parisienne – s’agirait-il d’un clin d’œil ? En tout cas (cf. début de La Scène, avec les hommes en « caisses automobiles ») il est important de « bien [faire] sexualité ce matin » (sic)  car ici c’est comme demander poliment « comment allez-vous ? » à son voisin de palier. Pourtant, tout retombe très vite, le feu de la passion n’étant pas éternel – « rien qui s’éteigne comme un feu sacré » (dixit Céline). Quant au destin de l’homme, il se résume à un parcours amoureux, rapidement brossé dans La Scène (p. 110) : « Point de vie humaine est en nous et cependant nous nous aimons et animons, nous allons l’un vers l’autre, nous nous séparons et nous sommes des hommes à jeter par la fenêtre», l’expression « être à jeter par la fenêtre » rappelant la liste dépressive de cette même pièce et « fenêtre » équivalant sans doute ici à poubelle – ou peu s’en faut. Autre modalité d’arrêt brutal : l’intervention dans L’Opérette imaginaire (p. 131) d’un prophète amossien, double et castrateur, ceci après l’orgiaque exposé des désirs les plus fous (cf. liste des « Ce que je veux, c’est […]») :

‘[…] descendez descendez lamentables victimes, descendez le chemin de l’enfer éternel, plongez au plus profond du gouffre où tous les crimes, flagellés par un vent qui ne vient pas du ciel, bouillonnent pêle-mêle avec un bruit d’orage ; ombres folles courez au but de vos désirs jamais vous ne pourrez assouvir votre rage et votre châtiment naîtra de vos plaisirs.’