4.5. Une manière bizarre d’évoquer le corps

4.5.1. Recte, phalle, poume et cerve

Certaines parties du corps humain seront encore évoqués par périphrase, les «outres pleines de lait » semblant désigner les seins de la femme et le « membre malin » (V.Q., p. 35), dit ailleurs « réclameur », le sexe masculin. La poésie n’est pas absente dans la manière dont l’auteur parle de la « bouche d’amour » (le sexe féminin ?), des « pavillons flanqués » (les oreilles ?), du « trou phagique » (la bouche ?) et des doigts qui sont « vingt par personnes pour l’orgue à couac » à la page 61 de L’Origine rouge.

Dans La Lutte des morts, on tournait déjà autour du corps en nommant rabelaisiennement ses parties, à commencer par les fesses : on s’étonne en effet de la « [passion] qu’a l’cul de se diviser » (p. 352). A l’origine de cette division du postérieur , il y a un « fût à diviser » (p. 352), à moins que « fût » ne remplace « cul ». Ici, rien de comique car « avoir l’cul » (p. 352), c’est avoir une maladie, une maladie qui oblige à « porter pantal » ; après, c’est l’escalade et on ne sait pas où tout cela va nous mener : les personnages n’arrêtent pas de le déplorer.

Quant à « l’anneau tombal » (L.M., p. 377) qui nous aide à « donner sépulture » aux aliments, c’est une sorte de contre-bouche – et pourtant, il faut le savoir : « La bouche des fesses a existé ! » (L.M., p. 351). C’était peut-être un temps plus heureux, une époque où la tête était moins « sujette à idées » ; c’est qu’il y a hélas une véritable « Maladie de la pensée » (L.M., p. 340) qui a tendance à sévir ; ici, il semblerait qu’on préfère « panser », danser ou même « denser ». A la page 362 (nous sommes toujours dans La Lutte des morts), « l’histoire des fesses » continue : ce « cul jadis était un cul, donnait la vie. Jourd’hui, simple embouchure au vieux pectum, bouche à la mort, il chie l’ennui » ; ce n’est plus l’organe vivant (la queue des oiseaux ?) qui « fait chanter » : au cul et pour parodier Rutebeuf, bise et parole ne ventent plus : les mots ont remplacé le chant.

Dans L’Acte inconnu (p. 173), on reparle du « trou funeste » aussi nommé « bouche excrémentielle » et on l’oppose au « trou de vie qui s’adresse à nous et qui nous fait savoir le fin fond de [la] pensée », sans doute la « bouche du haut », le nombril ou le vagin – mais après tout, les narines, les yeux, les oreilles et tous les pores de la peau sont, dans cette optique, également très expressifs. Autre opposition (p. 137) : « naître de ma mère par devant » / « être un déchet qui s’en va par son derrière ». A la page 106 pourtant, l’anus (et son « unicité ») est présenté plus positivement comme un bouclier contre l’oubli, un ange gardien, un dieu protecteur qui « [a] raison de fermer toujours l’œil sur nous » : on le voit : tout peut toujours se renverser : critiqué dans La Lutte des morts, voici que l’anus se voit loué dans L’Acte inconnu.

Pour le « salibrat des dents » (L.M., p. 510), il désigne sans doute le travail de la mastication. Il y a aussi des cas comiques d’apocopes comme dans « recte », « phalle », « poume » et « cerve », début de liste ressemblant à celle des mois d’un calendrier jarryque – ailleurs, on aura « paupi ». Enfin, les « boites à pariétaux » du Discours aux animaux (p. 140) désignent peut-être le cerveau, les boîtes renvoyant à la partie droite et à la partie gauche, voire aux lobes frontaux – mais ces boîtes qui nous cernent sont un peu comme les planches d’un crâne-cercueil : « Boîte à tribord, boîte à babord, mon p’tit mousseteau ! » (B.C.D., p. 288). Dans « Dressez-les lobes » enfin (D.V., p. 246), ce qu’on entend, c’est "soyez attentif" ou "soyez tout ouïe" (voire "écartez les esgourdes").