4.5.2. La main qui parle

« Il langue des quatre » (D.V., p. 279) rappelle un peu le « quatre à quatre » d’une expression connue concernant la vitesse (proposons donc : "il parle très vite") mais c’est peut-être à un extraterrestre ayant quatre bouches pour parler, manger et languer ou à un homme doué pour les langues et en possédant quatre (« tu colleras les timbres » dirait Coluche) que nous avons à faire. Quant au « morçon viangique » (D.V., p. 171), il désigne la langue tandis que le « tube oculier » (D.V., p. 23) correspond à une mauvaise (mais novariniennement comique) « digestion » d’un terme technique (sans doute » globes oculaires ») : ici, c’est l’œil, les yeux ou la vision.

Ailleurs dans Le Drame de la vie (p. 193), les yeux seront appelés les « deux trous jumeaux réciproques » (mais cela pourrait aussi bien s’appliquer aux narines et aux « orilles »). Or, c’est « par devant » et donc par eux, les yeux, que « nous absorbons le côté positif » tandis que les « trous arrière » sont le moyen de nous « défaire de la négativité » (p. 76). Car enfin, n’oublions pas que, chez Novarina, homme comme femme sont aussi et surtout des « porte-trous » dont l’un est d’ailleurs dit « proche de celui de la mort d’ou tombent les déchets et d’où nous ne sortons pas ». (O.R. ; p. 50). Ailleurs, l’anus est dit « blond » (L.M., p. 376).

Pour la phrase « J’ai pris au tragique les trous comiques » du Discours aux animaux, on ne saurait la remplacer par « J’ai dramatisé la sexualité » (qui au fond est dérisoire, etc.) car si le trou est dit comique, l’organe n’est pas toujours sexuel. Ce n’est pas le cas dans « commettre l’orifice » (C.H., p. 372 et J.R., p. 54) qui renvoie manifestement à l’acte d’amour et à la faute (cf. « commettre ») originelle. La nuance est qu’ici, quand on commet l’orifice/origine, on le fait (sic) avec « [son] père, [sa] mère, [sa] sœur, son gendre et ses beaux-frères, avec la pendule sous la moquette de la figure en marbre du chien en boule pendu dans l’escalier » (J.R., p. 54). Bref, on s’abouche et on s’accouple à tout, tout fait trou, tout fait orifice, on copule tout azimut comme pour communier pleinement avec le réel et l’extérieur : cela pourra aussi concerner la mangerie : tout fait ventre, rien n’est immangeable, tout est comestible, même et surtout soi – mais nous y reviendrons. En somme, on pourrait même estimer que Novarina ajoute à "croquer la pomme", d’autres périphrases édéniques (et d’autres modalité de fautat) dont voici peut-être deux nouveaux exemples :

« faire la honte » (C.H., p. 362) = se livrer à l’acte charnel (en ne perdant pas de vue l’idée de péché originel)
« proie du reptat » (C.H., p.241) = victime du serpent (et novariniennement : du nulle-pattes), donc Eve – soit par extension : la femme.

Cette rhétorique biblique du salissement et de la honte atteint son apogée à la page 34 du Jardin de reconnaissance : « il m’est arrivé ce qui au chien arriva : le chien est retourné à ce qu’il avait vomi, la truie lavée s’est vautré à nouveau dans le fumier ». Chose curieuse : l’animal assiste à la honte humaine et y participe parfois, tout cela (comme ici) se confondant presque : chien et truie par exemple sont un miroir de la honte, une preuve qu’on a fauté, un rappel ambulant et à quatre pattes de l’ancien fautat impitoyablement sanctionné. Concernant la femme, elle sera surnommée « la percée » à la page 241 de La Chair de l’homme et il sera également question, dans Falstafe, de la « crinière d’en bas » (p.134), probable périphrase pour désigner les poils pubiens. En ce qui concerne le pénis, on réduira intelligemment l’expression « mon sexe masculin » pour ne dire que « mon masculin » (in L.M.), "Mont Masculin" n’étant pas loin.

Quant à la « main qui parle » de Vous qui habitez le temps (p. 88), c’est un faux ami ; elle n’évoque pas vraiment une partie du corps humain mais désigne plutôt une marionnette à manchon à moins qu’il ne s’agisse carrément d’une périphrase pour parole, « l’orifice du langage » étant sans doute la bouche ("Dieu est une main qui parle" étant éventuellement intégrable, ajoutable à la théoliste de La Chair de l’homme). Dans L’Origine rouge (mot très proche d’Orifice), on reparle de la bouche comme d’un trou et on aura même « deux trous à nourrir » (p. 67).