4.6. Un lecteur complètement désorienté

Comme on l’a vu pour les allusions bibliques, la périphrase novarinienne est parfois érudite ; ainsi, le « fou trompé des bois » semble se rapporter au personnage de Merlin mais ce fou devenu tel car trompé par des « flèches […] indicatives vers des culs-de-sacs partout » (D.A., p. 232) est peut-être aussi le lecteur. A l’image du fameux boomerang qui ne revient jamais pour désigner le cintre, la périphrase pourra également se faire humoristique, le « supermarché » devenant par exemple le « bordel commercial » (D.V., p.199).

Bref, on nomme les choses autrement, et elles prennent une dimension comique ; cela ne s’applique pas forcément à la périphrase proprement dite : c’est ainsi – à moins que LOpérette imaginaire n’ait été écrite légèrement avant le drame (auquel cas ce serait une sorte de vision prémonitoire) – que le tragique accident de Lady Diana semble devenir « l’écrabouillage de la reine Bibi ». De même, au lieu de progresser dans la hiérarchie sociale, on « s’élève dans les conditions » dans Le Babil des classes dangereuses, etc., etc.

Enfin, certains concepts très généraux seront remplacés, nous semble-t-il, par des expressions singulières. De fait, « l’autre-monde » « l’outre-tombe » cher à Chateaubriand et « l’outre-terre » d’Artaud étaient déjà des métaphores que le « monde d’outre part » semble remplacer. La vie même est nommée de multiples façons ; il y a une « entrée » et une « sortie » (deux mots très novariniens) et entre-temps (?) : un « Drame ». La vie, ici, est aussi un repas une cène, une scène, une danse, un théâtre, un banquet – ou un train, comme à la page 24 de L’Animal du temps. En proposant à notre tour un aphorisme inspiré d’une idée de l’auteur que nous évoquerons plus loin, nous pourrions même ajouter une métaphore en posant que la vie est une manifestation sportive, manifestation ayant lieu dans un « Stade d’Action » parfois cruel où les champions ne le restent jamais bien longtemps.

Le Drame de cette vie, c’est que tout y est complexe, touffu, labyrinthique ; le sud, le nord, l’est et l’ouest ne correspondant plus à rien, il conviendrait peut-être de changer de boussole et surtout d’en trouver une qui indique la « gauche », la « destre », la « griche » et le « derche » (L.M., p. 417), le « derche » (partie du bas) devant sans doute correspondre au sud. Mais, au fond, si le « fou trompé » aime à l’être, c’est que se perdre dans les bois doit présenter des charmes…