5.2. Maisonnons !

A la page 15 de L’Opérette imaginaire, le conseil de maisonner (de bâtir une maison ? de construire quelque chose ? de rester chez soi ?) semble nous être donné dans « Maisonnons », injonction se démarquant singulièrement de « Marcassons » (L.M., p. 522), qui sonnait comme une invite à imiter Grillus, ce camarade d’Ulysse transformé en porc et satisfait de cet état. Cela correspond peut-être à l’évolution artistique du dramaturge, le côté animal (bestial, féroce) du Babil des classes dangereuses ou de La Lutte des morts faisant place à une volonté plus grande de domestiquer ses folles pulsions langagières (d’ailleurs, les verberies sont plus rares) et de faire œuvre (bref de « [maisonner] ») en construisant des pièces fonctionnant comme de minutieuses mécaniques ou plutôt des demeures fragiles qu’un retour du loup (qui pourrait les renverser en soufflant dessus) menacera heureusement toujours car ici, un peu comme chez le Claudel de l’après Tête d’or, le vent artistiquement intéressant de la grande folie furieuse (et de ces bourrasques nouvelles, mille exemples pourraient ici être donnés) peut ressurgir à tout moment.

D’ailleurs, les animaux domestiques auront aussi droit au verbage, pour chiens en l’occurrence ; et l’expression « Ils chiennent » (D.V., p. 172) nous semble pouvoir être définie de la sorte : ils continuent à être, en tant qu’ils appartiennent à la race canine, bref à exister cyniquement, soit, en novarinien : ils persistent dans leur comique caninité (ou dans leur cynitude comique). D’autres animaux, encore plus proches de nous, seront concernés par le verbage : « Chimpanzai-je ? […] Ouistiti-je ? » (O.R., p. 103). Sans avoir l’air de rien, ce genre de jeu de mots peut, comme c’est souvent le cas chez Novarina, déboucher sur une réflexion plus profonde voire métaphysique ; ici, peut-être : que reste-t-il de l’animal en moi ? Suis-je certain d’être en pâte/bois d’homme ? Est-ce que je le crois parce qu’on me l’a dit et qu’il paraît que c’est vrai ? L’état de chimpanzé n’est-il pas préférable ? Ceux qui affirment que le rire est le propre de l’homme ont-ils déjà eu l’occasion de chatouiller un orang-outan ? Le clivage homme/singe est-il si évident ? Quid de Tarzan et des « enfants sauvages ? Bref, le concept de chimpanzerie et le verbe « chimpanzer » ont de quoi nous troubler quelque peu… Dans L’Origine rouge, l’auteur semble même nous donner de nouvelles pistes de réflexion par son utilisation particulière du verbe « singer » qui relève certes d’un verbage (verbation ? verberie ?) officiel, admis et non néologique :

‘L’homme singe l’homme puis s’habille en singe et se réveille en homme - et il voit à l’horizon de son pantalon qu’il y a en lui un être en homme et non en singe. Tel est l’homme et ça me fait du bien de le dire.’

Enfin, outre les « verbes en ut » et les « verbes en ouif » (D.V., p. 12), signalons un autre jeu avec le verbe au début (de la page 7 à la page 20) de La Chair de l’homme (cf. « Voyez » dit Jean ; « Soyez attentif ! » ajouta Jacques ; « S’arrêtera-t-elle ? » demanda Pierre ; « Oui » répondit Marie, etc.) : cette liste qui s’apparente à une perecquienne « tentative d’épuisement » (et qui se retrouve peu ou prou dans d’autres textes), l’auteur en eut, dit-il, l’idée à cause d’un ami romancier : s’agissait-il pour le dramaturge d’ironiser comme Robbe-Grillet (mais bien sûr très différemment) sur la permanence du roman balzacien et de certaines conventions relativement mécaniques ? Ce n’est pas évident du tout, surtout si l’on tient compte du « mouvement amoureux » à l’œuvre dans ce type de listes.