Mathieu va vite ; dans certaines fulgurances, Pascal et Madame Guyon (et ajoutons Artaud) s’apparentent à des « athlètes du sentiment » voire à des sprinters de l’âme ; quant à Voltaire (cf. Candide) et Diderot (cf. Jacques le Fataliste), on sait qu’avec leur petite musique, ils déboulent en fait à toute allure (sans oublier d’être des philosophes pleins d’ironie et de drôlerie) ; Bossuet, dont l’art est très lié à la performance théâtrale, avait aussi, nous semble-t-il, des emballements, de ceux qu’on retrouve peut-être (cf. « Vous n’avez pas fait retour ») quand Novarina lit son Amos, qui ne devaient pas passer inaperçus – pour des oreilles attentives s’entend. Cette vitesse n’est pas vraiment celle de Céline (ni de Dumas voire d’Hugo) mais c’est celle de Novarina ; au fond, chez ce dernier, la rupture stylistique n’est pas aussi grande, consommée, qu’on pourrait le croire avec certaines traditions du passé, XVIIème et XVIIIème notamment.
Céline était d’ailleurs, nous semble-t-il, moins parlé que Novarina – sauf, hélas, pour dire des âneries (« Les Chinois à Brest », etc.). De plus, il semble que le théâtre novarinien soit lié à une digestion très personnelle de la parole philosophique, dimension importante sur laquelle nous reviendrons. Quant à sa critique énervée (quoique parfois cryptée, sous-jacente) d’un certain théâtre et de certains types de jeux d’acteurs (cf. Lettre aux acteurs, Pour Louis de Funès), elle nous rappelle un peu le Nietzsche rejetant symboliquement Wagner mais cela ne concerne que des grincements de dents et un énervement relativement retenu, mais qui s’exprime et se voit cependant (car, pour le reste, nous sommes de ceux qui estiment qu’il faudrait un jour essayer de traduire Nietzsche avec les trois points).
L’autre point de comparaison avec Céline, c’est que la lecture des pièces de Novarina est toujours (malgré certains invariants, couches/nappes nouvelles et effets de retour faisant plaisir au récepteur) pleines de surprises – et cela même quand, au bout de plusieurs lectures, on croit avoir compris la technique de l’auteur. Il semble qu’on puisse en dire autant du « métro émotif », et c’est également pour cette raison que l’on peut légitimement comparer ces deux artistes – tout à la fois, comme on aura essayé de le démontrer à travers cette sous-partie, très proches et très éloignés l’un de l’autre. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a chez Novarina et pour utiliser ses propres termes une « force de l’allant »92 et peut-être même, pour citer Christine Ramat93, une « poétique […] de la vitesse », sur laquelle nous reviendrons.
Valère Novarina, « Quadrature », Entretien, Scherzo n°11, octobre 2000.
Christine Ramat, « "Je suis personne" ou la voix lyrique sans sujet », La voix de Valère Novarina, op. cit., p. 49.