2. Une philosophie émise en langue rythmique

2.1. Lallation et fatrasie

En fait, la phrase novarinienne s’apparente surtout, mais de façon étrange et légèrement inquiétante, à la comptine pour enfants. Après s’être immergé dans cette œuvre en écoutant par exemple les enregistrements d’André Marcon (cf. L’Inquiétude, etc.), on pourra même se surprendre à parler le novarinien en utilisant le même rythme de phrase : c’est dire la force de cette langue, liée donc, nous semble-t-il, à une forme d’enfance. Expliquant ce que signifie « lallation » (cf» Un gazouillis infantile dit un dictionnaire. Un autre dit : émission vocale sans intention expressive chez le nourrisson… première forme de pseudo-langage dont la forme délirante à l’âge adulte est la glossomanie ») dans un article intitulé « Le paradis parlé »102, François Dominique constate :

‘Les comptines conservent des traces de lallation sous la forme de kyrielles syllabiques ; ce sont les comptines dites « avec allitérations, jeux phonétiques et mots sauvages ». […] Comme le dit bien un pédiatre, la lallation infantile est « entre le langage et le lait », dans le plaisir circulaire de ressasser quelques syllabes : labalama, lebeleme, lobolomo…, séquences hyper labialisées qui provoquent une jouissance phonétique. Ainsi, la première magie enfantine serait liée au fait de s’entendre bredouiller. Là se trouve la langue adamique. Je n’ai pas dit « innocente », car le retour vers cette origine mobilise la connaissance, l’appel aux langues dites « étrangères » ; ainsi, dans Le Jardin de reconnaissance, quand le Bonhomme de terre invoque « l’énergie enfantine », la Voix d’Ombre lui répond : « Le locassier puterle ; la coquelionne dandrule ; la bruse bibrionne ; la frousette lujarde ; le huppelin asp’asp’ ; le féjard goguinne ; le golion hulète ; la polypse ouinte ; le pétassier carquignolle ; l’hypolobe frouit ; la vardasse cyclauque ; le malibroche flûtiote… »’

Plus loin dans le même article103 François Dominique établira une correspondance avec les fatrasies médiévales et citera celle-ci, de Philippe de Beaumanoir : « Le gras d’un poulet / Mangea au brouet / Pont et verberie / Le bec d’un coquelet / Emportait sans plet /Toute la Normandie ». L’exemple est bien choisi ; on y retrouve l’incongruité, l’énormité (cf. « Emporter la Normandie ») et les effets de contraste à l’œuvre chez Novarina - de même que l’idée de « mangerie »/ « verberie » sur laquelle nous reviendrons.

Dans Le Discours aux animaux, la « chanson de Jeannot aux actions comiques » (reprise aux pages 39-40-41 de L’Animal du temps) comportent des éléments surréalistes qui rejoignent un peu l’humour à l’œuvre dans les fatrasies du Moyen Age :

‘Et sur les bas que mon grand-père de laine
M’a tricoté avant d’mourir violet
Le brave cher homme est mort d’une migraine
Tenant un os dans sa bouche de poulet’
Notes
102.

François Dominique, « Le paradis parlé », Valère Novarina. Théâtres du verbe, op. cit., p. 99.

103.

Ibid, p. 101.