2.4. L’art de la pointe et de la pirouette

Il y a aussi dans la phrase novarinienne une sorte d’insolence et d’ironie qui rappelle un peu l’épigramme – même si l’épigramme à la grecque n’a pas toujours cette visée. Cela dit, c’est surtout le procédé stylistique dit de la pointe que Novarina semble emprunter à l’épigramme. Cette pointe, un peu comme le court commentaire célinien analysé par Henri Godard voire certaines fins de nouvelles d’Edgar Poe, certains contes zen et bien sûr les blagues de façon générale, permet de réinterpréter tout ce qui précède et de le considérer d’un œil neuf : « Tu sens la dune, le soleil fixe, la vie sans ombre, le chameau à perpétuité. » (O.R., p. 48). Précisons cependant que le passage de Novarina relève davantage de la mini-ode surréaliste (voire de la fatrasie médiévale) que de l’épigramme à la Martial, s’ancrant beaucoup plus dans le réel (cf. piques, attaques ad hominem, propos désobligeants, joies simples de la vie, etc.).

Le principe de la pointe se retrouvera dans la manière originale dont se concluent certaines listes à travers tout un jeu cocasse avec « etc » qui semble ici mélangé à « vétérans » (Matta, lui, avait pensé à « etc-écrable ») ou alors associé à l’idée d’une activité voire d’un métier comme dans « etcaetériste » (idem pour « Un point, c’est tout ! ») : « et Kétéran » (B.C.D., p. 208) et « un point-toutiste » (C.H., p. 307). Rhétoriquement parlant, on pourrait presque appeler ceci queues de comètes ou flèches du Parthe. La pointe/chute de la liste aux oiseaux du Jardin de reconnaissance sera une des plus spectaculaires : après tant de néologismes et de verbes inventés, on lira « l’homme blêmit », ce qui revient peut-être à dire que l’homme « s’exprime par la mort » ; s’il blêmit, c’est qu’il sait qu’il va mourir et cela le distingue des oiseaux (de ce point de vue, c’est même un « oiseau mal fait »).

Dans une autre pointe (J.R., p. 80), « L’Ours de la Fiévraine ne vous entend plus », la mort semble consommée, la phrase s’apparentant à la formule codée d’un aviateur allant s’écraser au sol. Autre exemple, puisé dans La Scène (p. 147) : « Que ceux qui ont des yeux les ouvrent, que ceux qui ont des oreilles entendent, que ceux qui ont des jambes les prennent à leur cou ! ».