2.5. Le proverbe : une structure privilégiée

2.5.1. Une certaine force d’affirmation

Mais le rythme en question procède donc en fait aussi et surtout du proverbe français. Nous préférons préciser "français" car il semble que le génie d’une langue s’exprime en particulier dans ses proverbes – la traduction, même réussie, n’étant qu’un pis-aller. Avant d’aller plus loin, cédons la place à un spécialiste, Alain Rey (à qui l’auteur demande de faire entrer un jour le mot kénôse dans le Robert), qui saura mille fois mieux que nous dire exactement en quoi consiste cette tradition hélas non vraiment reconduite – sauf par certains écrivains (dont Novarina semble faire partie) :

Défini par le linguiste et le poéticien comme une phrase structurée par des lois formelles et rhétoriques (il est lapidaire, rythmé, allitéré, etc.) par le sémanticien comme un énoncé « à armature symétrique » caractérisé par un système d’oppositions, le proverbe n’est pas encore suffisamment cerné. […]. Malgré d’évidentes différences culturelles, tous les proverbes ont en commun un type de contenu. Leurs assertions sont générales ou généralisables, ce que marque en français l’emploi d’articles définis (« Quand LE chat n’est pas là… »), l’absence d’articles (« Bon chien chasse de race »), l’usage d’autres déterminants (« Tel maître, tel valet »). Ils concernent des catégories logiques simples (implication, exclusion, etc.). Quand il n’affirme pas (utilisant alors un verbe au présent ou effaçant le verbe, pour marquer l’absence de temps historique), le proverbe conseille ou ordonne, utilisant l’impératif, la forme « il faut », etc. […] tout proverbe exprime une logique du jugement (par oppositions) […]. Comme toutes les productions collectives de discours (contes, mythes, récits, comptines, blagues et jeux de toute sorte), ils n’existent que par leurs emplois vivants. Et c’est pourquoi nous nous interrogeons en vain sur l’essence, la qualité, la beauté, la signification sociale du proverbe, si nous oublions qu’il s’agit aujourd’hui, pour nous, d’un grand malade, d’un moribond. 104

En note105 Alain Rey ajoutera : « Qu’il soit propagandiste ou publicitaire, le slogan, malgré sa parenté formelle, se distingue du proverbe par les intentions et surtout par le fonctionnement social. » ; il faudra nous en souvenir lorsque nous évoquerons plus tard télévision et publicité…

Quoi qu’il en soit, cette correspondance entre proverbe français et phrase novarinienne saute aux yeux quand certains moules syntaxiques connus sont réinvestis, réutilisés ; c’est le cas de : « Trajet si court en lieu si con mérite même pas d’être évoqué. » (B.C.D., p. 246). Dans ce dernier exemple, il ne se dégage pas spécialement de morale plus ou moins implicite – ou alors beckettienne, sur le caractère dérisoire de l’existence humaine – mais la syntaxe et le rythme peuvent éventuellement rappeler ceux d’un proverbe.

Notons encore l’absence d’article, et surtout la force d’affirmation, de percussion de ce type d’énoncé ; l’effet recherché est, comme pour un proverbe, de faire passer l’idée que les choses sont ainsi et pas autrement, d’édifier enfin, de marquer les esprits. Cela rejoint l’impression de force que dégage la phrase novarinienne.

Notes
104.

Alain Rey, préface au Dictionnaire de proverbes et dictons, Robert, Tours, 1980, pp. XI, XII, XIII.

105.

Ibid, p. XIII.