2.5.3. Retravail et parodie 

Beaucoup de proverbes connus commençant par « Qui » (comme « Qui veut aller loin ménage sa monture ») seront aussi, nous semble-t-il, parodiés par Novarina ; ainsi : « Qui va son train avale son chemin » (C.H., p. 45). Quant à « Qui vole un œuf vole un bœuf », il trouvera ici une sorte de « suite » concernant le voleur : « Qui vole un voleur veut un malheur » (C.H., p. 47).

La sentence qui nous signifie que l’enfer est pavé de bonnes intentions se retrouve peut-être un peu dans « Toutes les meilleures intentions du Umonde deviendront des instruments permanents » (C.H., p. 45) qui ne veut rien dire comme la plupart des proverbes novariniens, ces derniers étant soit complètement absurdes soit extraordinairement compliqués à l’image de « Qui veut voir doit croire pour croire qu’il voit ; mais qui veut croire doit voir pour voir ce qu’il croit » (p. 47), etc. Pourtant, il y a des exceptions : « Sauf le mètre étalon, personne ne se mesure à l’aune de soi-même » (C.H., p. 47) est un proverbe certes bizarre mais pouvant se comprendre malgré tout...

D’autres formulations ont un sens, mais à quoi s’appliquent-elles au juste ? Ainsi : « Un bon médecin ne soigne pas que de vue » (p. 47), « Qui vit longtemps, femme remue » (p. 47), « Jean ne change pas la lune sans rancune » (p. 50). Pour « Dans votre farine, tous les pierrots sont de même combine » (p. 49), la phrase ressemble moins à un proverbe qu’à une réplique métaphorique de Michel Audiard, un autre poète sensible aux rythmes et au silence entre les phrases.

La référence biblique n’est pas absente ; ici, c’est de Jésus qu’il s’agit : « Tel qui meurt au vendredi, dimanche sort tombeau » (p. 47). Dans un même ordre d’idée, « Aide-toi, le ciel t’aidera » pourrait à peu près (cf. aider/aimer) se remplacer par l’affirmation suivante : « Toujours l’amour est la roue de secours de l’homme, si tu y penses. » (p. 47). L’entame « Selon que vous serez puissant ou misérable » est transformée d’un coup de baguette magique en « Selon que tu seras douanier ou misérable » (C.H., p. 46). Plus équitable, plus démocratique, le proverbe « Pauvres ou riches, tous de même friche » met tout le monde dans le même panier (C.H., p. 46) et rappelle le « tôt ou tard, on n’est que des os » du chanteur Claude Nougaro. A la page 73, on aura un développement poétique à partir de l’entame classique en « Selon que » : « Selon que vous serez éveillés ou endormis, la nuit de tout ce qui vous appartient, ou vous semblera figure, ou vous semblera visage ».

Comme dans les proverbes traditionnels, il y a souvent une sorte de résignation devant l’imperfection humaine, un certain fatalisme ; c’est le cas de celui-ci, qui est de Novarina tout en ressemblant à une maxime de La Rochefoucault: « Chaque vérité guide souvent nos pas vers plus d’erreur. » (p. 49). Sur le temps qui passe et l’impermanence, on aura : « Ciel pommelé, femmes fardées, ne sont point de longue durée » (C.H., p. 49), mais ce proverbe existe sans Novarina (Alain Rey l’évoque d’ailleurs dans son ouvrage). Enfin, l’humour noir de l’auteur se retrouvera dans : « Qui me verra mort saura qu’il n’est pas moi » (C.H., p. 50).

Dans cette rafale de proverbes (cf. pp. 45-46-47-48-49-50-51-52) de La Chair de l’homme, on recense même, présentation mise à part, des sortes de courts poèmes de type haïku (dans la thématique, l’esprit général) à la page 47 : « Un oiseau sur un chardon ne font au fond qu’un fardeau bien léger », « Chagrin d’amour en cœur balourd, pèse lourd » (p. 47), « Le lévrier du matin mange le passereau au bord du ruisseau » (p. 48).

Dans L’Atelier volant, on avait « Lui-même dans l’eau, le soleil s’est mangé » (p. 34) et même des phrases que Lao Tseu aurait peut-être pu prononcer comme « Le vrai vide est le plein » (p. 47) ou « La force sans faiblesse manque de force (p. 52) ; c’est que dès cette pièce, l’auteur s’amusait déjà beaucoup avec les proverbes – notons par exemple « Ne jouez pas au cygne quand vous n’êtes qu’un rat ! » (p. 67), « Qui se sent mouché, qu’il se couche ! » (p. 68) ou « c’est à quatre pattes qu’on monte le mieux ».