2.5.6. Fatalisme joyeux et dureté comique

Quoi qu’il en soit des impuissances du commentateur, force est de constater l’omniprésence du proverbe dès les premières pièces écrites par Novarina (La Chair de l’homme en effet, n’est pas du tout une exception : s’il y en a peut-être plus là qu’ailleurs, c’est tout simplement parce que cette œuvre est une des plus longues).

Pour commencer, notons dans Le Babil des classes dangereuses « Sperme en tout lieu s’efforce à plaire » (p. 212) qui est une manière comique de désigner la pulsion de vie qui anime l’homme et le pousse, comme dit l’auteur, à « sauter soudainement sur autrui » – mais aussi « Qui lambine ne lampera rien » (p. 166) qui rappelle « Il faut battre le fer quand il est chaud ». Pour « A poche minime, dû s’aménage » (p. 313), il rappelle un peu, nous semble-t-il, le concept(/conseil) minimaliste de se contenter de ce que l’on a, voire de se débrouiller avec les moyens du bord. Quant à « Tout un chardon vaut bien sa cloche » (p. 252), il a peut-être un sens équivalent même s’il rappelle également « à chacun sa chacune » et l’expression « trouver chaussure à son pied ».

Comme souvent dans la tradition des proverbes, l’excès nuit et le trop est banni ; ainsi, « Qui jacte trop sera éjecté » nous rappelle que le silence est d’or ou qu’il convient de tourner sa langue sept fois dans sa bouche avant de parler ; « tout plat nouveau tombe à l’abus » (p. 390) semble, lui, nous inviter à faire montre de modération et à nous méfier (cf. tout nouveau, tout beau, etc.) de l’attrait de la nouveauté.

Concluons avec Le Babil des classes dangereuses (p. 255) par une variation (mais encore plus désespérante que l’original) sur la loi d’Archimède (cf. « tout corps blessé à mort pousse son couic ») pour enchaîner avec La Lutte des morts et le déprimant « qui court crève » (p. 512) qui nous paraît raccourcir terriblement « A quoi sert de courir ? Il faut partir à point » en « A quoi sert de courir ? » – ici, notre interprétation n’est pourtant pas vraiment validable étant donné le contexte d’apparition de ce « proverbe induit » (nous reviendrons plus loin sur cette notion), à savoir la phrase « Tourne qui court crève, tout ce qui tourne, tourne tout ce qui court » qui en contenait deux autres, « Tourne qui court » et « tourne tout ce qui court » (qui allongent l’expression « tourner court » mais nous ramènent encore à l’aquabonisme contenu dans « A quoi sert de courir ? » voire « A quoi sert de tourner ? » puisque tout a tendance à tourner court).

Sur le côté « Rivière sans retour » du voyage au pays des ombres, il sera résumé par « qui planche dedans a les yeux blancs » (p. 371) qui s’applique sans doute au contenu d’un cercueil – néanmoins, le « cada » en question, si c’en est un, aura, en plus des yeux blancs, comme l’ultime gag de quelque parent facétieux, « la têtasse couverte d’une coiffe comique à la Henriette ». Quant à l’incompréhensible « On sait plus si c’est à son polif ou à sa conardière qu’on a les moineaux » (p. 341), il semble allonger "y a plus de saisons" (voire "On sait plus à quel saint se vouer") d’une façon tout à fait surréaliste.