2.5.7. Contre la langue des Boucot

Si l’on excepte La Chair de l’homme, c’est sans doute dans L’Atelier volant que le proverbe est le plus représenté ; on y retrouvera la notion du « Point trop n’en faut » dans le castrateur « Qui veut plus qu’un bœuf jamais rien n’obtiendra » imaginé sans doute à partir de « Qui vole un œuf, etc. » et qui, à l’instar de l’agressif « Ne jouez pas au cygne quand vous n’êtes qu’un rat » (p. 67), sonne comme une invite à ne surtout pas mettre la barre trop haut - et, dans le cas de « qui ne sait pas parler, qu’il la ferme » (p. 67), à opter pour le silence et l’obéissance au maître (ici donc : Boucot). Enfin, « Qui se croit morveux, qu’il se mouche !» se verra gratifié d’une sorte de suite en « Qui se sent mouché, qu’il se couche ! » (p. 68), déjà cité plus haut.

L’animalité ne sera pas absente dans la « poésie gnomique » proposée par Valère Novarina ; ainsi : « c’est à quatre pattes qu’on monte le mieux » (p. 68) qui semble inviter l’homme à une forme de régression, « Ne battez pas le loup, mettez-le à l’école » (p. 49) qui rappelle une formule de Victor Hugo et « Si les moutons mettent des dents, il faut les reprendre en mains » qui pourrait résumer la politique répressive de l’ignoble Boucot. Quant à la frustration mêlée d’amertume des ouvriers face aux mille promesses (pécuniaires, sexuelles, etc.) que les Boucot leur font miroiter (cf. loto, retraite dorée, épisode de l’affiche vivante), elle est parfaitement résumée dans le constat « Beaucoup de très beau papier… Mais à brouter, toujours aussi peu ! » qui rappelle : "des promesses, toujours des promesses !" (voire : "un tiens vaut mieux que deux tu l’auras").

Chose normale étant donné le sujet de la pièce, fatalisme et agressivité prédominent dans les proverbes de L’Atelier volant ; subsistent néanmoins quelques lueurs d’espoir et certains d’entre eux pourront même (mais dans l’absolu, sortis de leur contexte) avoir un côté rassurant – nous pensons à « Quille oblique ne risque rien » et surtout à « Un tube dentifrice, même vide, tu en tires toujours quelque chose à force » (p. 94) qui donne de l’espoir et annonce un peu le "C’est plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de le remettre dedans" d’un film de Louis Malle (cf. Milou en mai) : dans ce dernier cas, on voit que l’auteur n’hésite pas à fabriquer des proverbes à partir d’objets du quotidien relativement modernes (cf. dentifrice), ce qui est encore une manière de dépoussiérer cette forme courte souvent poétique.

Le proverbe novarinien a donc souvent, comme on l’a vu, une dimension politique et on s’en sert souvent (d’où le titre de cette sous-partie) pour ridiculiser la langue des Boucot soit (pour faire allusion à une célèbre phrase de Jean Genet) la « langue des bourreaux » ; il se peut même que le nom vienne de là : au fond, Boucot est peut-être un mot-valise triple associant boucler, bouche et bourreau.