2.5.8. Une poésie de type gnomique

Le recours au proverbe et à une poésie gnomique (c’est à dire à base de sentences, de maximes et de préceptes) caractérisera aussi Le Discours aux animaux ; les thèmes en seront le temps qui passe, l’obscurité et la cruauté du monde et d’autrui. Sur le temps, les réflexions seront contradictoires, « Rien passe deux fois, tout passe nulle fois » (p. 233) s’opposant un peu à « Quand mardi passe, c’est que revient lundi » (p. 255) qui va dans le sens de « Qui passe, repasse » (p. 239).

Sur l’obscurité, on aura cette sentence définitive et pleine de bon sens : « La nuit n’est pas la preuve qu’il n’y a rien à voir » (p. 267), ce qui revient peut-être à dire qu’il faut se méfier de certaines apparences ou que le mystère n’en est pas vraiment un – idem pour tout ce qui est opaque, hermétique, abscons, etc. Tiré de Vous qui habitez le temps (p. 17), « Qui ne voit que dans sa nuit n’entend que son silence » se présente, lui, comme un encouragement à sortir de sa coquille pour aller dans le monde et s’ouvrir à autrui.

Dans « rien viendra de qui viandra » (D.A., p. 238), on semble pourtant ne se faire guère d’illusions sur ce qu’il convient d’attendre de l’homme, ce viandard, et de la vie en général. Idem pour « L’homme est un fameux tueur de soi » (D.A., p. 57) qui revisite « L’homme est un loup pour l’homme », au même titre que « Monde est un trou pour moi » (D.A., p. 172). Variante de « Rien ne sert de courir », « rien ne sert de multiplier » (p. 111) n’incite pas plus à la reproduction. « Tout est pareil sauf quand c’est la même chose » n’exprime quant à lui pas vraiment de lassitude (si nous en parlons comme d’une personne, c’est peut-être que nous sommes au diapason novarinien) : c’est juste une phrase comique et rythmée qui pourrait s’intégrer à une comptine absurde stigmatisant un travers sophiste ou la parole d’un « vilain normand ».

Dans Je suis, le désespoir fera retour dans « Peine plus d’une, amour aucune » (p. 29) mais sera contre-balancé par des considérations plus positives et plus encourageantes comme « Quelque chose est vrai dans le faux » (p. 169), ce qui revient un peu à dire que quelque chose est beau dans le laid et que tout n’est pas si noir au fond du trou. Fort de son expérience, « [chantant ses] » idées reçues, Le Vieillard Carnatif nous fera part à son tour (p. 176) de ce qu’il a compris sur la vie, à savoir : « Une fois reculé, il est trop tard pour avancer ; une fois après bu, il est trop tard pour avoir soif ; une fois après sorti, il est trop tard pour rapparaître » ce qui permet de rendre plus précis et plus évocateurs "Y a un temps pour tout", "Quand faut y aller, faut y aller" ou encore "Avant l’heure c’est pas l’heure et après l’heure c’est plus l’heure".