2.5.10. Le cas particulier des proverbes induits

Dans Le Drame de la vie, l’on trouvera ça et là des cas de proverbes induits, c’est à dire des généralisations pouvant être opérées par le récepteur en face de certaines phrases bien précises ; ainsi « Homme tombé n’émet plus » pourra être déduit de « Voyez cet homme tombé qui n’émet plus » (p. 255) où l’on retrouve un peu le « dieu tombé qui se souvient des cieux », l’homme allant peut-être mourir à force de tomber (ici, s’il n’émet plus, c’est peut-être qu’il est déjà mort).

Autre exemple : en opérant, à la page 259, une coupure entre les mots « homme » et « toujours », on pourra proposer « Homme toujours regarde le cul » qui se présente comme une conséquence logique et directe de « Sperme en tout lieu s’efforce à plaire » évoqué précédemment. De même, la prétention humaine au savoir est peut-être moquée dans la phrase « le Docteur toujours avant la mort enlève son pantalon » où celui qui sait, le docte, le « Docteur » semble tout à coup sommé, par la force des choses, à faire preuve de modestie et d’humilité face à la mort qui arrive : il ne raisonne plus, fait un peu moins le malin et se dessaisit enfin (cf. « enlève ») de tous ses attributs humains – ici vestimentaires (cf. « son pantalon »), pour commencer.

A la page 337 de La Chair de l’homme, un pendant à « L’amour est aveugle » nous semble suggéré dans la scène de l’entrée d’un mystérieux nain qui se tait ; proposons donc : "Amour n’a pas d’ parole". Dans l’adresse au meilleur ami de l’homme mais qui ne parle pas davantage que cet Amour qui se tait (cf. « Chien qui aboie, ne bourdonne pas ») lancé par La Femme Séminale (J.R., p. 89), comment ne pas voir, en enlevant la virgule, un proverbe amusant, insolite et inédit ? Quant au sens d’icelui, il pourrait être : "Les chats ne font des chiens" (ou plus exactement : "Les chiens ne font pas des abeilles"), à moins qu’il ne s’agisse d’une invite à faire les choses une par une, avec méthode : soit on aboie, soit on bourdonne (il faut choisir son camp).

Du rythmé « Les mandolines sont rangées / Veuve Poignet, va t’coucher » (O.I., p. 138) rappelant un peu l’humour parfois leste à l’œuvre dans Falstafe, on pourrait déduire un philosophe « Veuve Poignet vaut mieux qu’improbable récital » éloigné de tout romantisme (les « mandolines » étant « rangées », pourquoi rester sous la lune ?), invite pragmatique qui ferait écho à « Sexualité bien ordonnée commence par soi-même» (p. 139), proverbe-manifeste en faveur de l’onanisme et rappelant iconoclastement "Charité bien ordonnée commence par soi-même" voire, mais de façon plus vague "  On n’est jamais si bien servi que par soi-même". A l’image du genre dont elle s’inspire, L’Opérette imaginaire, à l’instar des variations cinématographiques d’un Resnais, est parfois un brin grivoise et c’est ce qui explique la présence de toutes ces considérations osées que d’aucuns pourront trouver scabreuses. Dans L’Origine rouge enfin, on déduira d’une chanson évoquant la Passion  « Qui met le chapeau d’épines à midi se coiffe d’INRI le vendredi », proverbe renvoyant au caractère inéluctable, mathématique, de la crucifixion, "Comme on fait son lit, on se couche" et surtout "Chose promise, chose due" rejoignant plus laïquement l’idée exprimée.

Nonobstant, on le sent bien, toutes ces interprétations frisent le farfelu ; au reste, ces proverbes induits sont des cas bien isolés et nous préférerons conclure cette sous-partie en mettant l’accent sur ceci : les techniques du proverbe (telles qu’expliquées ci-avant par Alain Rey) et la force d’affirmation / percussion qui est la sienne ont en fait surtout à voir avec le style même de l’auteur (et c’est peut-être même la raison pour laquelle, à force de se confronter avec le texte, l’on croit en voir partout, d’où le cas particulier des proverbes induits) et les options qu’il prend : affirmations ne semblant pas souffrir l’opposition, structures syntaxiques souvent similaires, expression d’un fatalisme sous-jacent, d’une ironie subtile, d’un pessimisme social (et sur la nature même de l’homme), formulations catégoriques ayant l’apparence de paradoxes à cause de l’effet de surprise produit et enfin (et surtout !) souci impérieux du rythme de façon générale – un souci qui se retrouve, nous semble-t-il, partout, à chaque phrase et de quelque écrit (pièces, essais ou même interviews) qu’il s’agisse.