3.2.2. Présence de la chanson

On voit que la différence entre prose et chant n’existe presque pas chez Novarina : en fait, ici, tout se chante plus ou moins – un peu comme à l’époque des Troubadours. Nonobstant, le « troulabourateur » qu’est  Novarina semble aussi s’intéresser aux formes modernes que peuvent revêtir la musique et le chant.

C’est ainsi que la chanson française contemporaine n’est pas oubliée dans la liste concernant Dieu de La Chair de l’homme ; on y note la définition célèbre de « l’homme à la tête de chou » qui a dit « Dieu est un fumeur de havanes » (mais aussi « Dieu est juif », p. 398) et celle, encore plus surprenante, d’Hubert-Félix Thiéfaine : « Dieu est un fox à poil dur » (et notons que John Lennon sera également évoqué à la page 397, qui nous « fredonne » que « Dieu est un concept au moyen duquel nous mesurons notre peine »). En lisant les pages 355-356 de La Chair de l’homme, on se souviendra peut-être d’une chanson tragi-comique de Brigitte Fontaine dans laquelle une terrible chute nous est paradoxalement racontée de l’intérieur avec une sorte de flegme imperturbable et un luxe de détails techniques, objectifs et scientifiques, exactement comme pour le compte-rendu d’une expérience stoïcienne : qu’on tombe ou que l’immeuble s’écrase, on n’y peut plus rien – autant l’accepter.

Toujours dans La Chair de l’homme, c’est à une chanson de Jacques Dutronc (cf. « J’ai été gentil à Port-Gentil, j’ai été errant à Téhéran », etc.) que la chanson de Vévé Luctu (cf. liste des pages 353-354) nous fera songer (mais avec en plus des références bibliques) : « A Issoire, j’ai vu l’trou noir ; à Lyon, des réactions ; à Genève, j’ai trouvé Eve ; à Saint-Julien, son fils Caïn », etc. Pour « j’arrachais des arbres à la pelle » (C.H., p. 312), on pensera aux « feuilles mortes » de Prévert et Cosma et, à la page 203, il sera question d’une chanson de Bourvil : « Zèf à Plô écoute Salade de fruit ». De même, la « rate fleurie-e » (O.I., p. 127) pourra rappeler un air d’opérette où il est question de « route fleurie ».

Pour faire allusion à d’autres œuvres, notons qu’à la page 263 du Discours aux animaux, on pensera éventuellement à une chanson méconnue d’Aznavour (avec des jeux sur « carte » et « écarte ») ; de même, et encore plus surprenant : outre la référence biblique (à Amos), le leïtmotive « Malheur à toi » pourra rappeller le « Salut à toi » des Berurier noir, chanson morale mais agressive, à l’image des malédictions proférées par L’Anthropoclaste (O.R., pp. 151-152-153-154-155). Enfin, après Bourvil et Louis de Funès, il était un peu anormal d’oublier le troisième larron de la divine trinité comique française et la lacune sera magistralement comblée dans L’Acte inconnu où Christian Paccoud jouera pour nous Le Tango Corse, qu’immortalisa Fernandel. L’air est encore parodié dans une scène jouée par Dominique Parent (« le Dominique », comme dit la chanson) avec des effets d’apostrophe comiquement improbables (cf. « c’t’arbrisseau »). Quant à Andréas, qui est le prénom du laborantin qui assiste le professeur Raymond de la matière, c’est peut-être une allusion à une chanson peu connue de Bobby Lapointe (cf. « Andréa, c’est toi », etc.).