3.2.3. Des standards revisités

Bref, il se réfère plus ou moins consciemment à des airs plus ou moins populaires (ou qui le furent) comme la chanson à la gloire du « Père Dupanloup » (B.C.D., p. 296) que Céline évoque d’ailleurs dans Mort à crédit, « Madame la marquise » (B.C.D., p. 179) où la comptine de Pierrot retravaillée dans « Ouvre-moi la porte, je n’ai plus de lieu » (S., p. 146).

« J’ai la rate qui s’dilate » se retrouvera à la page 419 de La Lutte des morts, pièce où sont même inventés des standards dont on se demande à quoi ils pourraient bien correspondre ; notons « l’air des quilles » (p. 394), « Pocardy » (p. 391), « le grand air Samsom » (p. 399), « Plany’s » (p. 432-3), « Les Elongations de Puisette » (p. 433), « Le chant d’Hure-liande » (p. 40), « L’air de la vie passagère» (p. 436), « L’air Fond du Lumière » (p. 499), « L’air Du-Fond-Du-Monde » (p. 490), « L’air des Scéances » (p. 492), « L’air des Masques » (p. 375), « l’air de la Tangue » (p. 467), « L’air du Puissant invertissement » (p. 422), « L’air du ut » (p. 493), « L’air moral » (p. 499), « L’air Temperam-Ejus-Lambet » (p. 490) et « La chanson sotte des deux joufflants » (p. 341). Si l’idée d’air revient si souvent (« joufflants » rappelant soufflants), c’est que l’air que l’on chante renvoie à celui que l’on respire ; pour Novarina, cela se confond : tout est vie, musique et mouvement.

Pourtant, les musiciens ne sont pas forcément humains puisqu’il y a des « orchestres à porcs » mais c’est peut-être que les auditeurs présents ne sont pas très mélomanes et que cela revient à donner de la confiture aux cochons. Dans Le Discours aux animaux, on chantera le « chant d’espoir porchique » (p. 209), la « chanson du câble » (p. 313), la « chanson à silence » (p. 238) et la « chanson des bêtes à douze pas » (p. 193). Dans Le Drame de la vie, de nouveaux airs seront proposés comme le « grand air du dégoût » (p. 176) et « l’air du mouvement Trépido » (p. 180) mais on entendra aussi la « ballade du Corbidon Phrasé » (p. 176), « l’Hymne du Ouicube » (p. 46), la « sonatine en huitième moche » (p. 173) ainsi que de la « musique mystirbiologique » (p. 38). Cette inventivité concernant les titres d’airs et de chansons se retrouve dans des pièces plus récentes, L’Opérette imaginaire et L’Origine rouge, notamment : « A Castagnette », « Chanson du désespace », « Chanson de la fierté des gros », « Perds pas des yeux ton Yvette », « Veuve Poteau », « Chanson contre autrui », « Chanson d’Marcel moi-même » et « Chanson d’Œdipe » (« chantée sans complexe »), la différence étant qu’ici, la plupart du temps, on voit à quoi les titres correspondent (mais le titre juste évoqué sans la chanson qui va avec reste une possibilité).

Cela dit, l’auteur ne crée pas ex nihilo ; c’est ainsi que « Sonnez haut-bois ! Résonnez musettes ! » s’entend dans « Huchez tambour / sonnez trompettes » (D.A., p. 49) et peut-être même dans « Dansons gitan, tournez Camille » (p. 463), « Passez Muscade ! » n’étant pas loin. On pourra aussi voir une sorte de prolongement dans « Soufflez le cuivre ! soufflez le bois ! donnez la trompe ! sonnez l’effroi ! » (O.R., p. 151) ; autre prolongement possible à partir de « Sonnez » écrit comme chez Rabelais : « Sonnetz hardies batteries du corps qui gagne toujours au foot de glas ! » (D.A., p. 220). Quant à « promenons-nous dans le bois », il ne deviendra pas "promenons-nous dans le boa" mais l’idée d’entrée dans un corps étranger sera conservée : « Promenons-nous dans des personnes absentes » (O.R., p. 65).

Outre Le temps des cerises (l’ » oiseau déconneur » remplaçant le merle moqueur), c’est surtout La Marseillaise qui sera retravaillée : « Marchons ! Marchons ! », cité texto à la page 20 du Discours aux animaux, deviendra en effet aux pages 32-33 « Mâchons. Marchons », « Marchons, garçons ! », « Archons, marchons », « Hâchons, archons » et « Marchons, fuyons » – autre variation proposée, dans Le Babil des classes dangereuses cette fois : « Vergeons, vulvons » (p. 180), à rapprocher peut-être de « Sortons, rentrons » (D.A., p. 100) ; dans La Chair de l’homme, on nous conseillera plutôt « Mangez, mangez ! » (p. 106) et dans L’Opérette imaginaire, on aura « troquons-troquons » (p. 23). Là encore se révèle le côté  potache et provocateur de « L’Enfant Valère » s’attaquant ici à l’hymne national français.